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coup de bourre
3 juin 2008

L'Invitation au Voyage

    Voici un joli travail sur L'Invitation au Voyage. C'est un bel exemple de commentaire réussi de première. Vous remarquerez la mise en page soignée qui révèle l'architecture du texte au premier coup d'oeil, merci pour le lecteur !


Charles Pierre Baudelaire, né à Paris en 1821, est un écrivain majeur de l'histoire de la poésie française. Il a écrit entre autres : Salon de 1845, le poème du haschisch (1858) mais aussi une des oeuvres les plus importantes de la poésie moderne : les Fleurs du Mal (1857) qui connaîtra plusieurs dates d'édition car cette oeuvre sera condamnée à plusieurs reprises. À travers son œuvre, il tente de tisser et démontrer le lien entre la beauté et le mal, la violence et la volupté, mais il a aussi exprimé l’envie dans plusieurs de ses poèmes dont : « l'Invitation au Voyage » qui fait partie de « Spleen et Idéal » écrit dans un registre lyrique. Comment, à travers ce poème, Baudelaire exprime-t-il son envie d'évasion ? Et quel est ce paysage mystérieux qu'il décrit ? Pour répondre à ces questions, on étudiera d'abord l'invitation au voyage du poète, puis le lieu décrit par Baudelaire.

 

* * *

 

 Il y a dans presque tous les poèmes de Baudelaire la présence d'une femme. Dans « l'Invitation au Voyage » une présence féminine se fait, dès le début, sentir : « Mon enfant, ma soeur ». On ne sait alors si c'est une enfant ou une femme. C'est plus tard, au vers quatre et cinq, qu'il exprime un sentiment d'amour pour cette personne et que l'on comprend donc que c'est une femme voire sa compagne. On ne sait pas où se situe cette femme, ni qui elle est, et encore moins à quoi elle ressemble. Mais tout le long du poème, elle aura un point commun avec la destination dont rêve le poète, c'est que tous deux restent mystérieux : « Au pays qui te ressemble ». Dans le poème, seuls les yeux de la femme sont décrits (« Pour mon esprit ont les charmes / Si mystérieux / De tes traîtres yeux »), et seul le portrait d'une chambre sera dressé par l'imagination du poète : « Décoraient notre chambre ». La femme et le lieu restent donc inconnus du lecteur.

 Tout au long de son poème, Baudelaire essaie de convaincre cette femme de venir avec lui dans ce lieu secret. En effet, dès le vers deux, il emploie le verbe « songer » : « Songe à la douceur » qui invite la femme à partager son rêve. De plus, il émet l'envie de vivre avec elle dans ce lieu : « D'aller là-bas vivre ensemble ! ». Jusqu'au vers cinq, on ne sait pas quel est ce lieu, ce n'est qu'au vers six qu'il emploie le mot « pays ». Puis dans la suite du poème, il décrit le paysage et aussi une chambre. En fait, Baudelaire réalise poétiquement le voyage : dans la première strophe les soleils sont « mouillés » mais diurnes, tandis que dans la troisième strophe ils sont « couchants » et que « le monde s'endort » ; c'est là que s'arrête l'invitation, car elle est partie d'un songe et se termine lorsque celui-ci s'achève.

 On remarque donc que le rêve du poète se déroule le temps de toute une journée dont les étapes sont très distinctes. En effet, le matin, lorsque les soleils sont « mouillés » dans la première strophe, le couple est séparé du lieu rêvé par « Là-bas ». Dans la deuxième strophe, la distance entre le couple et le lieu se fait uniquement sentir sur le mode des verbes au conditionnel : « décoraient », « parlerait ». Lors de la troisième strophe, le couple n'est plus séparé du lieu. En effet, grâce à l'impératif « Vois sur ces canaux », cette troisième strophe laisse le lecteur supposer que les distances ont été franchies. C'est également dans cette strophe que le rêve s'achève « les soleils couchants ». À travers ce poème, on voit que le poète est envoûté autant par cette femme mystérieuse que par le lieu dont il rêve. Mais ce pays qu'il décrit est bien plus intime car on peut voir entre les lignes une double image de celui-ci.

 

 

 Déjà, à la forme du poème, on peut deviner que cet endroit mystérieux remonte bien loin dans les souvenirs de Baudelaire. Tout d'abord le rythme du poème est lent, l'ambiance qui s'en dégage est calme et paisible. On remarque aussi qu’entre chaque strophe il y a deux vers qui reviennent systématiquement : « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté ». Quand on lit le poème, on a donc l'impression de lire une chanson avec ses deux vers qui jouent le rôle de refrain. C'est en combinant le rythme du poème et ses deux vers qu'on voit apparaître une berceuse. Peut-être alors que ce pays « mystérieux » est celui de son enfance où il est dans la chaleur des bras de sa mère. Cette idée se renforce encore plus avec le lexique de l'enfance présent dans le poème.

 En effet, le lexique de l'enfance est très présent dans le poème. Déjà au vers un, il appelle la femme qu'il aime : « Mon enfant, ma soeur ». Aussi, il écrit « Au pays quitte ressemble » ; ce vers crée un doute : parle-t-il d'un pays ou de sa mère ? Car on ressemble à ses parents. À la strophe deux, le poète décrit une chambre dans laquelle les « meubles sont polis par les ans », peut-être était-ce de vieux meubles à lui. Dans cette strophe, on peut aussi deviner la présence parentale car aux vers 24 et 26 il écrit : « Tout y parlerait / A l'âme en secret / Sa douce langue natale »... À la troisième strophe, l'ambiance est chaude : « Le monde s'endort / Dans une chaude lumière ». Là aussi, il y a une double image : celle de la tombée de la nuit, mais également celle d'un enfant qui s'endort dans les bras de sa mère. Le poème de Baudelaire est donc plein de double sens. Mais une troisième image se dégage de ce poème.

 En effet, on peut voir une image bien plus profonde à travers ce poème, celle d'une naissance. On peut rattacher cette image au rêve que fait le poète en une journée, car comme pour le rêve, la naissance suit des étapes très distinctes. À la première strophe, on peut imaginer un petit enfant dans le ventre de sa mère, prêt à naître. C'est au vers 7 que l'enfant naît, en effet « Les soleils mouillés » qui évoquent le lever du jour peuvent également évoquer la naissance de l'enfant. À la deuxième strophe, on peut voir un enfant qui découvre sa demeure : tout est nouveau pour lui, même l'odeur : « Les plus rares fleurs / Mêlant leurs odeurs / Aux vagues senteurs de l’ambre ». Il y a également un échange avec la mère, marqué par : « Tout y parlerait / A l'âme en secret / Sa douce langue natale ». À la troisième strophe, l'enfant a vécu sa première journée : « Les soleils couchants ». Sa mère l'éloigne de l'agitation : « Dont l'humeur est vagabonde » puis l'endort : « Le monde s'endort / Dans une chaude lumière ».

 

* * *

 

 Pour conclure, on peut noter le double sens très fin de ce poème. Il y a d'abord une première interprétation, celle d'un poète amoureux qui fait partager son désir de s'installer avec l’être aimé. L'autre image, cachée par cette première, laisse apparaître l'image d'une enfance, voire même d'une naissance. Baudelaire, dans ce poème, nous a prouvé une nouvelle fois l'agilité avec laquelle il manie les mots. Il a également inscrit dans le poème une mélodie qui sera reconnue : ces vers seront mis en musique par Henri Duparc.

 

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