La Mort des Amants - Commentaire n°1
On peut faire court et bien ! Voici un excellent travail qui va droit à l'essentiel ! J'apprécie particulièrement l'écriture fluide et simple qui n'est par ailleurs pas dépourvue d'élégance. En revanche la mise en page ne fait pas apparaître les sous-parties, qui existent pourtant. Questions et remarques bienvenues...
Le XIXe siècle est le siècle d'un renouveau de la poésie que les poètes, tel Hugo, Gautier ou Baudelaire, veulent plus moderne, sortie du schéma obsolète de l'amour heureux, de la Belle Nature, de la beauté classique. Le thème de la mort dans la poésie classique est vu sous un aspect lugubre, effrayant, morbide, appelant au Carpe diem, c'est-à-dire à vivre autant qu'il est possible en profitant de chaque moment avant que la mort ne scelle notre destin. Baudelaire, lui, approche le thème de la mort avec modernité et d'un point de vue totalement différent. La mort en elle-même n'est plus la fin, mais devient un instrument essentiel de l'espérance baudelairienne, une renaissance éternelle. « La Mort des Amants » est le premier poème de la dernière partie du recueil des Fleurs du mal (1857) : « La Mort ». Ce poème associe paradoxalement une volupté et une union amoureuse intense, à la mort, ce qui donne deux axes de lecture à approfondir pour répondre à la question : En quoi « la Mort des Amants » prend-t-elle la forme d'une sublimation de l'amour et d'une renaissance éternelle ? Ainsi, on étudiera le poème selon deux parties : la sensualité, la volupté de mêler à la mort en une sublimation de l'amour, puis la renaissance éternelle des deux amants.
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La mort future décrite par Baudelaire se déroule dans une atmosphère onirique qui confond volupté, sensations amoureuses et la présence même de la mort qui amène l'amour à un stade de pureté extrême. En effet, on retrouve le champ lexical de la sensualité comme l'indiquent les termes « odeurs légères » et l'adjectif « profond » associé à des accessoires qui peuvent prendre une connotation amoureuse, telles les « lits » et les « divans ». Cette sensualité évoquée se manifeste dans une scène à l'aspect des plus romantiques avec ces « fleurs sur des étagères » qui sont « Écloses pour nous », « nous » représentant les amants. Il semble que, d'après ces éléments, ces deux amants soient représentés dans un moment intime espéré, dans cette ambiance de boudoir, trouble, qui appartient aux rêves les plus doux, où tout est « plus beau(x) ». De plus, une impression de calme se dégage à la lecture du poème, dû à la récurrence de sons longs comme [o], [on], [an], [ou]. Ces mêmes sons confèrent au poème un rythme incantatoire, qui retentit comme l'appel des amants à une plénitude que seule la mort peut engendrer. Qui plus est, dans le second quatrain de ce sonnet, on se rend compte de la présence d'une passion amoureuse. En effet, des termes faisant référence à la flamme de l'amour, telle « chaleurs » et « lumières », mais aussi, le deuxième vers de ce quatrain entièrement « Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux » montrent bien l'amour ardent qui consume les deux amants. On peut noter aussi la communion spirituelle des amants, dans les expressions suivantes : « double lumière », « nos deux esprits », « miroirs jumeaux ». On observe aussi la récurrence du chiffre deux : « deux coeurs », « deux […] flambeaux », « double », « deux esprits », « jumeaux ». Ce chiffre montre l'isolement des amants dans un monde où personne d'autre qu’eux n’a d'importance. Ce monde, c'est cette mort qui les unit en une union parfaite. Car la mort est omniprésente autour des amants. En effet, on retrouve le champ lexical de la mort : les divans sont « profonds comme des tombeaux », cette comparaison transporte le lecteur dans une scène mortuaire, un peu plus sombre. Les fleurs, si romantiques instruments d'amour, prennent un aspect « étrange(s) », elles peuvent donc être autant amoureuses que mortuaires. Les termes « sanglot » et « adieux » soulignent le deuil. De même, les mots « Ange » et « mortes » rappellent eux aussi ce champ lexical de la mort. Ainsi, le décor amoureux se mêle au décor instauré par la mort imminente des amants, l'embellissant, faisant d'elle une espérance et non pas une fin que l'on appréhende. L'amour en est purifié, sublimé, en une sérénité qui permet aux amants d'attendre la mort avec la conviction que celle-ci renforcera le lien qui les unit plutôt que de le détruire.
Ainsi, on s'aperçoit de l'étroitesse du lien qui unit mort et amour.
En effet, la mort et l'amour sont très proches. Premièrement, il existe un lien syntaxique évident. Deuxièmement, ce sont deux mots qui riment et sont proches phonétiquement : « (l’) amor » signifie « l'amour » en latin. Il s'agit pour le poète d'exposer les deux tranchants d'une même lame, de montrer que l'amour et la mort se reflètent éternellement dans le cycle de la vie (ou de la mort, tout dépend du point de vue). On retrouve justement cette notion de reflet aux vers 7 et 8 dans « réfléchiront » et "miroirs », ce dernier terme réapparaissant au vers 14. De plus, l'amour, dans cet univers mortuaire, prend un aspect mystique. En effet, on retrouve le vocabulaire du mysticisme, tel « ange », « porte », « éclair unique ». C'est l'élévation mystique de l’âme amoureuse dans la mort jusqu'à une résurrection tout aussi mystique des amants. Celle-ci s'opère dans le dernier tercet comme l'indique l'expression « ranime [...] les miroirs ternis et les flammes mortes ». Ce passage fait référence au deuxième quatrain et ses « vastes flambeaux » et « miroirs jumeaux ». On voit ainsi la progression de la mort des amants. En effet, il y a tout d'abord les flammes de l'amour qui les dévorent au point de ne plus former qu'une seule entité, pour ensuite disparaître en un « éclair unique », au coeur d'une nuit non pas sombre et lugubre, mais « rose et bleu(e) », emporté par la mort. La mort survenue, c'est l'heure des « sanglot(s) » et des « adieux ». Mais cet état ne dure pas car cet ange, gardien des « portes » de l'au-delà, amène la joie qui insuffle une vie d'une autre sorte, mystique, aux amants. Arrivé à cet état de la réflexion, où l'hypothèse d'une renaissance éternelle dans la mort se confirme, on peut se permettre une supposition. Et si « les amants » étaient une représentation allégorique de cet amour et de cette mort présente tout au long du poème ? Le paradoxe évoqué précédemment, sur la présence de ces deux états, n'en est alors plus un, mais en fait la fondation de l'étrange lien qui les fait « amants », si difficilement dissociables, car complémentaires et unis en une résurrection éternelle. La mort des amants, l'amour des amants, c'est l'amour et la mort qui se réfléchissent éternellement dans les miroirs de l'infini.
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« La mort des amants » fait partie du groupement de poèmes de Baudelaire qui appartient à la tendance gothique, extravagante et macabre du romantisme noir anglais. Cette littérature sera désignée par le terme de «frénétisme» par un certain Nodier. Ce poème définit assez bien le frénétisme de Baudelaire, en cette alliance extrême et intense de l'amour et de la mort. Extrême, car elle prend forme sous l'aspect d'amants à l'approche de la mort ; intense, car infinie, spirituelle, mystique. C'est ce qui ressemble le plus au bonheur baudelairien, ce à quoi le poète aspire : l'Éternité. Baudelaire a dit : « toutes les beautés contiennent, comme tous les phénomènes possibles, quelque chose d'éternel et quelque chose de transitoire - d'absolu et de particulier ». Cette façon, ce choix même, d'idéaliser la réalité, voir même de suggérer une réalité fuyante, fait de Charles Baudelaire le précurseur du symbolisme par excellence, et un modèle d'écriture pour des poètes tels Verlaine, Rimbaud et Mallarmé.