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coup de bourre

6 mars 2011

Littérature et Société chez les "oufs"

Bonjour à tous,

 

Un autre beau travail, menée initialement dans le cadre de l'EDEX littérature et société, et toujours dans une perspective socio-constructiviste.

A la Folie

 

L'aventure s'est poursuivie à travers le concours Dis-moi dix mots 2013 - 2014, intitulé ... "A la folie" !

 

Bonne visite !

 

 

 

 

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17 juin 2010

Questions d'oral

Votre camarade a la bonne idée de me transmettre un fichier de collecte des questions qui vous ont été posées, le voici donc. S'il est incomplet, n'hésitez pas à laisser un commentaire.

ECONOMIE : - En quoi ce texte est il dissymétrique ?

 - En quoi ce texte est-il une critique ?

SERPENT QUI DANSE : - En quoi ce poème fait il appel aux sens ?

Dom Juan ACTE I sc1 : En quoi cette scène est-elle originale ?

LA CHRISTIANISME DEVOILE : En quoi ce texte est il à la fois convaincant et persuasif ?

GUERRE : - Que veut montrer Voltaire ? Quels registres utilise-t-il ?

 - En quoi ce texte est-il un apologue ? 

CHAROGNE : - Comment ce poème invite-il à réfléchir à l’œuvre de l’artiste ?

 - En quoi ce texte est-il poétique ?

 - Quel regard le poète porte-t-il sur son œuvre ?

Dom Juan ACTE III sc1 : Quels sont le aspects comiques de cette scène ?

Dom Juan ACTE V sc5/6 : Quels sont les registres de cette scène ? Quel est l’effet rendu ?

Le Rouge et le Noir :- scène de la rencontre : - En quoi cette scène est-elle romanesque ?

 - En quoi cette scène est-elle à la fois originale et classique ?

 - dîner chez les Valenod : En quoi s’agit il d’une satire de la bourgeoisie ?

15 juin 2010

Le Rouge et le Noir : un titre mystérieux


 

 

 Certain(e)s s’interrogent sur le sens de ce titre, s’inquiètent surtout de savoir si on peut leur demander de le commenter au bac. Au-delà de ce point de vue purement pratique, il est bienvenu de se poser des questions…

 Oui, c’est un titre mystérieux, et voilà 180 ans que l’on émet des hypothèses à son sujet.

 Je ne prétends donc pas apporter de réponse définitive, cela n’aurait aucun intérêt : c’est la question qui importe, et votre réponse personnelle et argumentée.

 Je voudrais quand même tordre le coup aux solutions toutes faites et bien confortables. Ainsi, la tarte à la crème habituelle, et dont on est bien souvent obligé de se contenter : « le rouge est le symbole de la carrière militaire et le noir celui de la carrière ecclésiastique. » Certes, l’alternative est évoquée dans le roman, mais outre que l’uniforme des armées de Napoléon n’a jamais été rouge, c’est réduire à bien peu de chose le pouvoir symbolique du titre. Pire : « Stendhal a acheté des petits carnets pour écrire son roman, ils étaient rouges et noirs. » Cette explication définitive a le mérite de nous dispenser de toute réflexion : estimons-nous encore heureux qu’il ait pu obtenir ces couleurs, sinon le roman se serait appelé « Caca d’oie et vert pistache »…

 Procédons plutôt méthodiquement. Deux voies d’explorations sont possibles. La première consiste à s’appuyer sur le texte du roman et à y rechercher toutes les occurrences des mots « rouge », « écarlate », « vermeil », etc. ou « noir », « sombre », « obscur », etc. puis de voir dans quel contexte apparaissent ces couleurs et à quelles idées elles sont liées. On pourra ainsi bâtir un symbolisme de celles-ci, légitimé par les propres mots de l’auteur. Vous pouvez avoir un aperçu de ce travail en téléchargeant la fiche suivante, dont je vous recommande fortement la lecture :

 

http://www.smeno.com/fileadmin/media/pdf_studyrama/etudesoeuvres/Stendhal/oeuvre_stendhal_le-rouge-et-le-noir.pdf

 

 La seconde démarche, complémentaire, consiste à s’interroger sur le symbolisme, en général, de ces deux couleurs, universellement connues. Le paradigme du noir est la nuit. C’est le temps des secrets, de la dissimulation, des forces occultes, des complots, des voleurs, de tout ce qu’on ne saurait faire au « grand jour ». Il est facile de relier ces valeurs à l’univers du roman : la soutane, l’hypocrisie des prêtres, la trahison, le complot, le pouvoir d’influence des sectes religieuses. Le noir, ce sont des forces puissantes, discrètement à l’œuvre dans le roman et la société de l’époque, c’est le pouvoir sans la gloire. Ce n’est ni « paraître », ni même, peut-être, « être ».

 Le rouge est plus complexe. Son paradigme universel est le sang. Dans un premier temps, c’est le sang versé, celui du sacrifice, fatal. C’est la vision de Julien dans l’église, c’est son sang à la fin. C’est aussi la couleur du désir, des forces vitales, de la passion, de l’amour. C’est la force qui anime Julien, sa nature, la seule et ultime vérité de sa vie : l’amour qu’il a éprouvé pour Mme de Rênal. C’est ce rouge là qui colore ses joues « si pâles » en rose, au chapitre 6. Ces deux rouges sont sincères, intimes : ils appartiennent à « l’être ».

 Mais il existe un autre rouge, parce que les hommes sont complexes, c’est le rouge de la parade, de la fête, de la cérémonie. Le rouge que l’on se met pour se faire voir, se faire remarquer, se faire admirer. C’est le rouge du cardinal mâle, le rouge de cette robe que vous n’avez jamais osé mettre, le rouge de Mme Valenod, celui des tapisseries de l’église de Verrière, ou de l’habit de cérémonie de l’évêque, ou encore de l’opéra, lieu où l’on va d’abord pour être vu. C’est le rouge du « paraître », du droit que l’on a de paraître, en société. Le rouge de la gloire…

 Si l’on combine ces deux approches, on peut entrevoir un ensemble de forces à l’œuvre dans le roman. Un jeune homme passionné et au grand cœur, né peut-être trop tard, et affligé d’un complexe d’infériorité, et donc d’une ambition démesurée. A lui, ne s’offre qu’une voie, celle de l’hypocrisie, de la dissimulation et de l’intrigue, que la carrière ecclésiastique propose aux êtres mal nés mais pourvus d’une grande intelligence.. Mais le désir de paraître et d’être reconnu conduira Julien à sa perte. Comme l’uniforme que Mme de Rênal lui obtient, celui attribué par M. de La Môle est illégitime. Dans la société de 1830, un être comme Julien ne peut briller, il doit se contenter d’un habit bleu porté en privé, ou mourir sur l’échafaud, rouge, enfin.

25 juin 2008

Zembrocal fatal...



Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.


 

 

Baudelaire est un poète français du XIXème précurseur du symbolisme etZzzzzet il faut savoir qu’il a attrapé la syphilis en fréquentant des prostituésBen oui, faut l’savoir. En effet. C’est étrange ce goût morbide qu’ils ont pour les petits tracas vénériens des poètes. Un petit topo sur les préservatifs d’ « à l’époque ». Boyaux de moutons ? Vessies de poisson ? Non, tant pis. Tiens, c’est une idée ça…Penser à acheter des capotes pour la prochaine session. Taille XL. M’en mettrai une sur la tête. Non ? Deux, on n’est jamais trop prudent…alors le Poète est dans une marmite???... « couvercle », « cercle » de l’horizonUn cauchemar, ça doit être un cauchemar…Baudelaire dans une marmite. Les cannibales autour, avec des os dans le nez. Des cris atroces. Ils vont me bouffer…Non ! Un rêve. C’est ça. Je rêve. Je suis dans une marmite, je ferme le couvercle au-dessus de moi. Ça y est. Je n’entends plus rien. Persil dans les oreilles. Bloup, bloup. Je flotte. Au milieu des carottes, chouchoux, navets,…Le bonheur. C’est chaud. Je ne sens plus mon corps…Je suis un légume…Bloup…bloup…A petits bouillons…je nage dans le potage…Baudelaire était fou !...Merde ! Le couvercle !... « araignées »?...Ne dit-on pas « avoir une araignée au plafond (pourris) » ? Hein ?...Fou, c’est ça. Ils veulent nous rendre dingues. Un complot du Ministère. Qu’on finisse tous dingues, à l’asile. Des tas de profs en camisole. Au milieu des carottes. On récitera du Baudelaire. Y nous donnerons du potage. Économies budgétaires…D’ailleurs, il a des hallucinations. C’est à cause de l’opium !...Oui…de l’opium. Beaucoup d’opium. C’est ça qu’il faut demander. On regarderait les volutes s’en aller au plafond – non, pas les araignées – et puis on y lirait une note. Une musique céleste s’échapperait de leur bouche. Là tout n’est qu’ordre…d’ailleurs les cloches ! …Dingue, dingue…les cloches, ça « saute » pas ! Hein ? Ça « HURLE » pas non plus ! Hein ?...Moins fort, pitié, moins fort…des cloches…des cloches qui sautent…à cloche pied…faire sauter les cloches. Je vais tous les FAIRE SAUTER !! BOUM ! Qu’on en finisse. Éparpillés, façon puzzle. Faire péter le couvercle…Ça finira en ratatouille…Et pis, y « plante » un drapeau, comme un alpiniste sur une montagneC’est ça…ça doit être le sommet, l’apogée, le bouquet final…on a atteint le sommet, le summum même…De l’air ! J’ai plus d’air ! C’est l’altitude…Tout est noir…l’espace, le vide. On est en orbite, ça y est. Je vais tourner jusqu’à la fin des temps. Des carottes spatiales…des marmites volantes…et des cloches, des cloches à l’infini qui sonnent en silence…Dingue, dingue, dingue…



  

23 juin 2008

Une journée en enfer...

Bon, pour détendre l’atmosphère, voici les deux blagues du jour :

 

J’interroge une candidate sur « La mort des amants » (vous savez, ce poème de … c’est comment déjà ? Ah oui, le beau de l’air). Donc, une question idiote, genre : « Justifiez le titre ».

La damoiselle commence son introduction :

 

« Blabla… (c’est très intéressant les introductions) …blabla…et Baudelaire s’inspire d’une femme Marie Daubrun, qu’il a rencontrée sur le tournage d’un film…blabla. »

 

(l’examinateur gribouille sur son cahier)

 

S’ensuit un exposé totalement passionnant et complètement à coté de la question (c’est fou ! pourquoi un prof met-il plus de temps à trouver une question, qu’un élève à ne pas y répondre ?), comme il se doit (95% des élèves récitent leur cours…). Puis vient l’heure de l’entretien…L’examinateur sort de sa torpeur et demande innocemment :

 

« Vous m’avez dit que B a rencontré Marie Daubrun sur le tournage d’un film…vous vous souvenez du titre ?

 

- Non, le prof nous l’a pas dit.

- Bon, et à votre avis, on tournait quel genre de film « à l’époque » ? (je m’inquiète car l’explication étant scabreuse, je me demande si ce serait pas un film de, non, ils n’oseraient pas !)

- Science-fiction

- … (ouf, me voilà rassuré…). C’est paru en quelle année Les Fleurs du Mal ?

- 1957 ! Euf…1857 ? 1957 ? Ch’sais plus !

- Aucune importance, on va pas chipoter pour un siècle…

- En effet !

- (Sniff…) Bon, Baudelaire, ça a pas l’air d’être votre fort, qu’est-ce que vous avez préféré cette année ?

- Ah, ben Baudelaire justement ! C’est chouette, j’ai tout compris !

- Merveilleux, j’ai…vous avez eu de la chance alors ?

- Oui, c’est sûr !

- Voui, voui…etc. »

 

 Pour ceux que « La mort des amants » inquiète encore, vous apprendrez donc qu’en déguisant Baudelaire en Spock et Marie Daubrun en Pénélope sur son scooter ionique atteignant des vitesse supra-luminique à la vitesse de l’éclair (unique) on « gagne » encore…9/20. Ben oui, faut en garder sous la pédale, y’a pire…

 

 Pire, justement :

 

(je passe l’exposé, 2’56’’ chrono, dont 2’11’’ de blanc, le reste décousu)

(je passe l’entretien aussi, l’examinateur s’acharne à extraire quelques borborygmes inconsistants du candidat)

 

- (désespéré) Bon, vous n’avez pas lu le livre ?

- Non ! (Ah, le candidat s’anime) D’ailleurs, je ne l’ai pas acheté…

- Aaahh…Et pourquoi ?

- Ben, on a pas pu…

- (l’examinateur sent l’émotion l’envahir, un drame de la misère, les parents se sacrifient pour payer des études à leurs enfants, mais n’y arrivent pas…) Ahh…hummm…c’est à dire ?

- Ben on a qu’une voiture !

- (Mon Dieu ! La colère m’envahit ! Comment, au XIXème siècle ! Il y a encore des gens qui n’ont qu’une voiture ! Mais que fait le gouvernement ? Où passe nos impôts ? Quand on pense que pendant que cet innocent souffre, des milliers de Malgaches se goinfrent d’un sac de riz extorqué au contribuable occidental ! 500 millions d’euros pour nourrir 2 milliards d’affamés profiteurs, le budget de 11h56’35’’ de « wargame » de nos glorieux G.I.'s en Irak. Je suis effondré…Qu’on réagisse ! Vite, une deuxième voiture, que dis-je ? Un semi-remorque, tant il est vrai que la culture peut parfois être lourde à digérer…Mais je divague… ) : Il n’y a pas de librairie à Saint-Joseph ?

- Si, mais c’est loin…

- C’est à dire ?

- Ben, en-ville.

- C’est loin « en-ville » (N.D. : nous sommes à Pierre Poivre) ?

- Oh, oui !

- (Soupir…)

 

 

 Bon, une bonne nouvelle pour finir : un élève (sur 14) a répondu à la question que je lui ai posée. Et vous savez pourquoi ?

 Parce qu’il n’avait PAS assisté au cours !

 Il a eu la moyenne (au moins).

 

 Moralité…

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23 juin 2008

Le Rouge et le Noir

 Je me demande si je n’ai pas « zappé » une ou deux questions sur Le Rouge et le Noir

 

 On me posait le problème de la date de parution et du petit mot d’avertissement, soi-disant de « l’éditeur », mais en fait de Stendhal. Rappelons que le sous-titre initial était « Chronique de 1830 », et que le roman a bien été écrit cette année-là. Rappelons aussi que ce fut l’année des Trois Glorieuses, révolution qui mit un terme au règne de Charles X, et annonça une monarchie constitutionnelle, moins rigide en apparence.

 Eh bien, ces événements sont liés ! Stendhal n’en est qu’à la moitié du roman lorsque éclate la révolution. Cela perturbe grandement son projet initial : Imaginez que vous ayez prévu d’écrire un roman intitulé « Chroniques du 11 septembre » et qu’un illuminé décide de faire sauter le centre de New York précisément ce jours-là ! Voilà votre roman à bas…

 Or, Stendhal met justement en scène un personnage issu du peuple et aux idées légèrement révolutionnaires, par ailleurs, il a depuis longtemps en tête qu’au régime de Charles X succédera une monarchie sur le modèle anglais à la suite d’une révolution. Voilà donc ses prévisions réalisées avant que d’être exposées, et son personnage guillotiné au lieu d’être sur les barricades !

 Pour contourner l’obstacle, il ment, et affirme que le roman a été écrit en 1827, et qui plus est avant que ne soit connues et jugées les affaires criminelles qui inspirent l’histoire. Ce faisant, il affirme avoir tout inventé, et ne s’être en aucun cas inspiré de faits réels. Pour finir, il sous-titre le roman « Chroniques du XIXème siècle ». Voilà pour ce point.

 

 Le second point est plus épineux et m’inquiète un peu…N’ai-je pas été très clair ce jour-là ? Il concerne le dîner chez les Valenod.

 Il semble qu’une certaine confusion règne dans les dénominations des discours, je précise donc :

- « Julien pensait à Madame de Rênal » : discours narrativisé

- « Julien vint à penser que… » : discours indirect

 

 Allez, un petit exemple pour la route :

- Max se remémorait sa soirée. : discours narrativisé

- Max expliquait : « Nous sommes allés en boite ».

- Max racontait qu’ils étaient partis en boite. : discours indirect

- Max expliquait tout. Ils étaient partis en boite. Là, un drôle de type les avait abordés. : discours indirect libre

- Max est bavard. C’est ainsi. La boite, ouais, on y était. Silence. Le type était bizarre. Marie n’écoute plus. Encore une histoire de Max. : Discours direct libre

 

 Voilà ces quelques petites précisions qui n’arrivent, je l’espère pas trop tard.

22 juin 2008

Dernière Minute !

Un camarade me fait remarquer que j'ai commis une erreur dans les descriptifs de lecture des S et des ES:

Je limite le texte de l'Acte III, sc.1 à "Mais laissons là la médecine ... 4 et 4 font 8", or nous sommes allés jusqu'à la fin de la scène en cours.

Ce n'est pas dramatique dans la mesure ou "Qui peut le plus, peut le moins", vous risquez juste d'être interrogés sur une plus petite partie du cours.

J'envoie un courriel au lycée pour les avertir de l'erreur, vous pouvez aussi en faire part à l'examinateur.

Bon courage.


21 juin 2008

Corrigé commentaire bac 2008

Bonsoir à tous,

 

J’espère que les épreuves se sont bien déroulées pour vous tous. Je dois avouer que j’étais très stressé avant l’ouverture des sujets, redoutant des textes ou des problématiques « exotiques ». Finalement, cela n’a pas été le cas. Certes, l’objet d’étude est le roman, et j’avais un doute quant à ce choix dès la première année de sa mise au programme. Mais les auteurs, comme les problématiques, sont extrêmement classiques : trois des auteurs sont du « siècle du roman » auquel appartient « Le Rouge et le Noir ».

 

Pour commencer, un petit panorama des sujets proposés :

 

- le sujet d’invention : il fait partie de ces sujets « casse-gueule » pour reprendre le terme d’une de mes collègues. Ici, pas d’interview, de dialogue, de journal : aucune forme non-littéraire. Pas d’argumentation sur un objet d’étude, aucune possibilité de montrer votre culture acquise durant l’année. De même, le narrateur du texte n’a rien à voir avec vous : vous n’êtes pas la jeune Lily, ni un chroniqueur du journal du Lycée. Non, vous êtes le Narrateur (avec un grand « N », car c’est une légende de la littérature) du plus grand roman français jamais écrit (des milliers de pages), par un des plus grands orfèvres de la langue française, un homme qui maîtrise sa grammaire comme peu d’académicien, un des plus grand styliste du dernier roman classique, dont le sujet n’est rien de moins qu’A la recherche du temps perdu. Pour corser le tout, vous avez 70 ans…

Ironie du sort, dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs, tome 2 ou 3 de La Recherche, une des jeunes héroïnes évoque l’épreuve de français de son « bac » (nous sommes au début du XXème), il s’agit, de mémoire, d’écrire la lettre de Mme de Sévigné à une de ses amies, évoquant une représentation d’une tragédie de Racine à laquelle elle a assisté ! Vous voyez que 100 ans plus tard, on revient au même type de sujet « impossible ».

 

Bref, vous n’aviez aucune chance !!

 

Pas de panique, c’était la mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que tout le monde est dans le même cas, y compris le correcteur (pour vous rassurer, ou vous désespérer tout à fait : je serais bien incapable de faire ce sujet, même pour vous faire plaisir, et j’aurais tellement honte que je le ferais en cachette ! Vous pouvez donc compter sur ma relative indulgence). De toute façon, lors des commissions de correction, on nous demandera certainement d’appliquer un barème qui ne tienne pas compte des difficultés du devoir…

 

Donc, comme d’habitude pour ce genre de sujet, les grands lecteurs, ceux qui écrivent avec aisance et une certaine élégance, et qui auront un peu cerné la démarche du texte et le style proustien, auront une excellente note. L’immense majorité des autres, dont la lecture mènera les correcteurs au bord du suicide, obtiendra une note très médiocre, éventuellement catastrophique en cas de hors sujet (portrait présent/passé d’une ancienne maîtresse).

 

Cela dit, j’ai pu lire une copie d’une de vos camarades qui m’a rassuré car elle s’en est, à mon avis, très bien tirée…

 

- Le commentaire : Le texte a l’air riche, c’est du classique, la langue est assez simple, pas de piège particulier. Bref, un sujet sûr.

 

 

- La dissertation : Problématique extrêmement commune ! Comme je vous l’avais rappelé, l’intitulé de l’objet d’étude vous amenait soit sur le personnage, soit sur le monde représenté. Ici, c’est le personnage, l’humain. La problématique est vieille comme l’Art, et valable pour toutes ses manifestations (théâtre, cinéma, peinture, sculpture, …) : imitation ou interprétation du réel. Quelle est la part de l’objectivité, du réalisme, et la part apportée par la subjectivité du romancier, par sa vision particulière du monde et de l’homme. Vous disposez de tous les personnages de roman, éventuellement de cinéma, que vous connaissez, de Lancelot à Julien Sorel, en passant par Don Quichotte, Blanche-Neige ou Mathilde de

la Môle

, ou pourquoi pas Harry Potter et son abruti de cousin.

 

Sujet 1 : Commentaire

 

 

 

Brouillon d’analyse :

 

- le paratexte vous aide : « …une étrange rencontre »

 

- susciter la curiosité : « bizarrerie » et « magnificence » en tête de phrase, avant même de reconnaître le sens (S-V) de celle-ci. « devina » : le jeune homme en est aux conjectures et aux hypothèses (« ou/ou » deux fois) ce qui témoigne de l’intérêt que suscite « ce personnage », « cette figure », termes eux-mêmes énigmatiques et qui diffèrent la description. Enfin l’adverbe « curieusement » précise l’état d’esprit du jeune homme tout en affirmant la propre curiosité du lecteur.

 

- Voir, Faire voir, donner à voir : L’art du romancier. Balzac feuilletoniste. Doit capter l’attention du lecteur et lui donner à voir les lieux et personnages du roman : esthétique et théorie réaliste. On aura remarqué la mise en scène du regard, puisque le jeune héros « se recule » dans un coin pour « examiner » le vieillard : pause dans l’action et préparation à la description. La surprise vient du fait qu’au lieu du portrait au point de vue interne (« il aperçut ») qui devait logiquement succéder à ces lignes, le narrateur reprend la main et s’adresse directement à son lecteur : « Imaginez » l’incitant ainsi à une participation active au processus de représentation. Cette incitation revêt la forme d’une injonction à la création lorsque le lecteur est sommé de construire lui-même le personnage : « mettez », « entourez-la », « jetez ». A la fin, le lecteur imaginatif se trouve à son tour en pleine possession du personnage (« vous aurez ») et de l’impression dégagée (« vous eussiez dit »). Cette préoccupation envers le lectorat (« voyait-on ») est toute balzacienne.

 

- Un portrait balzacien canonique : description générale de haut en bas (front-pourpoint) ; visage, puis corps. Axe vertical : front-nez-bouche-meton. Final par les yeux qui permettent le plus l’entrée dans l’intériorité. Corps : morphologie, silhouette générale, puis habits. D’une manière générale, abondance de détails et d’épithètes, maximum de précision pour donner à voir au lecteur.

 

- Le peintre à l’œuvre : Le chef d’œuvre inconnu est l’histoire d’un jeune peintre, mais ici nous pouvons lire un portrait dressé dans une technique picturale, qui se réfère même à un autre portraitiste « Rembrandt ». Le personnage lui-même est présenté comme un sujet de choix « qui affriande les artistes » ce dont témoigne son portrait : c’est une figure remarquable. La comparaison du nez du vieillard avec celui de Rabelais et de Socrate renvoie instantanément à la connaissance artistique que nous avons de ceux-ci : un portrait célèbre, et des gravures in-folio du romancier, et une sculpture du philosophe. La lumière, essentielle dans une toile, possède ici un champ lexical détaillé : « ternis » évoque les vieux vernis, le « contraste » et les reflets de la « nacre », « étincelante » « or » « jour faible » « noire atmosphère ». Les couleurs ne sont pas en reste : « grise », « verts de mer», « noir » et « blancheur ». Phrase finale qui abonde en lexique pictural : « toile…sans cadre…d’un grand peintre » et qui renvoie l’illusion crée par le romancier à une autre illusion, celle de la peinture d’un grand maître, sortie du « cadre » et qui prendrait vie. Liaison de la vie et de l’Art, thème classique. (cf. dissertation)

 

- Un personnage mystérieux : Anonymat soigneusement gardé (malgré l’inutile note 2) : usage des indéfinis (un vieillard, un artiste, un front, un nez, etc., un corps) ou des substantifs vagues et génériques (vieillard (2), gens, personnage (2), figure, …). Etrangeté et originalité du personnage : « Mais…ce je ne sais quoi », cette dernière expression consacrant le caractère unique et indicible d’un personnage qui échappe au langage, donc au roman. Une figure originale : grand front, petit nez retroussé, petit menton relevé, plus de cils, …Une physionomie contrastée : corps fluet, tête bombée, « contraste » des yeux, un personnage double et ambivalent : pourpoint « noir »/ dentelle « blanche », « protecteur » ou « ami », sujet à la « colère » ou à « l’enthousiasme » (deux passions dans ce vieillard, la deuxième étant littéralement « la possession par un dieu »). Personnage placé sous le double patronage de Socrate et de Rabelais, grands génies, mais qui furent menacés dans leurs époques, tant leurs idées étaient originales et contraires à la morale établie : Socrate dut s’empoisonner, et Rabelais échappa de peu au bûcher.

 

- Une apparition surnaturelle : « quelque chose de diabolique » cette première notation guide la lecture du portrait, et permet la réinterprétation de certains détails : le personnage est riche (magnificence, dentelle étincelante de blancheur et finement travaillée, lourde chaîne d’or) d’où lui vient cet argent ? « regards magnétiques » qui témoigneraient (du moins c’est l’hypothèse : « devaient ») d’un pouvoir surnaturel d’attraction, voire de séduction que confirme le verbe « affriande ». « yeux verts », yeux de sorcière, et dimension surnaturelle vaste comme la « mer », prunelle semi absente qui « flotte » dans la métaphore maritime. Bouche « rieuse » : moquerie du Malin ? « Barbe taillée en pointe » : le bouc du Bouc ? Trop grand âge (« singulièrement ») et pourtant une certaine force (« prépondérante sécurité ») dans un corps « débile » : A-t-il vendu son âme contre richesse et immortalité ? Personnage de l’ombre « noir » dans « le jour faible », « fantastique » et irréel « toile…marchant…sans cadre ».

A l’issue de ce brouillon, le plan apparaît clairement. On distingue un axe qui se dessine autour de l’art du portrait, et l’autre qui s’organise autour de l’intérêt romanesque du personnage.

On pourra donc poser :

 

 I L’art du portraitiste

 

 Le roman réaliste, et balzacien en particulier, a élevé la description au rang d’art. Il convient donc d’étudier en quoi ce portrait est tout à fait classique, mais aussi comment le romancier donne à voir au lecteur. Enfin, nous verrons que, plus qu’un portrait, c’est d’une peinture dont il s’agit, dans un roman, justement consacré à cet art !

 

1) un portrait balzacien canonique

2) Voir et faire voir

3) Le peintre à l’œuvre

 

 II L’art du romancier

 

 Le portrait, même en tant qu’exercice obligé chez Balzac, n’est pas une pause ornementale inutile : il a une fonction dans le roman. Ici, il vise à susciter la curiosité du lecteur, en lui présentant un personnage étrange, voire maléfique. Il devient clair ainsi que celui-ci jouera un rôle déterminant dans la suite de l’histoire.

 

1) susciter la curiosité

2) un personnage mystérieux

3) une apparition surnaturelle

 

 

Voilà, ne soyez pas trop déprimé si vous n’avez pas « tout » vu. D’après ce que j’ai pu lire, nombreux sont parmi vous ceux qui ont dégagé au moins deux, voire trois, de ces éléments, ce qui est déjà bien.

 

Sur ce, je vais tenter de profiter de ce frais week-end. Bonne chance pour les oraux et à bientôt sur le site.

 

 

 

18 juin 2008

Une étude de "La Mort des Amants"

    Je retrouve dans mes livres d'université cette étude que je mets provisoirement en ligne. Elle est très grammaticale et fort rigoureuse. Peut-être aidera-t-elle certains. Ne vous acharnez pas dessus, mais lisez-là simplement en diagonale si ce poème, de toute façon compliqué, vous inquiète encore. Rassurez-vous, c'est un mythe baudelairien, et l'examinateur le sait bien !

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 Dans l'exemple suivant, reprenant très étroitement, pour l'essentiel, une analyse de N. Ruwet (publiée dans le numéro d'hommage à Roman Jacobson de la revue L’Arc, au premier trimestre 1975), on interroge le fonctionnement linguistique du poème de Baudelaire « la mort des amants » pour préciser le choix qu'il opère, la « configuration de sens » qu'il détermine parmi toutes les idées et représentations que le titre fait surgir en l'esprit : images de l'amour et de la mort et de leur inévitable liaison ; conflits de l'amour charnel et de l'amour spirituel, de l'amour profane et de l'amour sacré ; croyances chrétiennes en la résurrection des corps ; conception qui fait de l'amour physique une « petite mort », un équivalent de la mort... C'est à tout cet arrière plan, en le gauchissant, en le transformant, que le poème donne sens.

 

 Le poème est tout entier au futur simple, et les protagonistes sont représentés uniquement par la première personne du pluriel, nous. Il y a donc indistinction des amants (pas de coupure moi/toi, il/elle, je/elle, etc.) et aucune référence au passé au présent : le poème est seulement intention, projet vers l'avenir, départ sans point de départ. Une ambiguïté, particulier au futur, c'est qu'il peut être interprété aussi bien comme une assertion (affirmation que l'on présente comme vrai), une prévision ou une prédiction, un souhait, une expression de la volonté, une promesse. L'absence d'un destinataire explicite (tu/vous) fait que le poème tout entier peut aussi bien être conçu comme une promesse adressée à un destinataire qui n'est pas nommé, que comme un rêve, un fantasme (peut-être l’amante incluse dans le nous est-elle tout à fait imaginaire). Enfin, le nous peut être collectif, et valoir pour tous les couples d'amants du monde.

 La mort, annoncée par le titre, n'apparaît directement nulle part dans le texte ; mais elle est partout présente, indirectement, étroitement liée à l'amour. Au premier quatrain, les lits sont une métonymie, à la fois, de l'amour et de la mort (ont fait l'amour/on meurt dans un lit), les divans profonds, métonymies plus directes de l'amour, sont comparés à des tombeaux, métonymies directes de la mort, les fleurs (dont la vie est fugace) sont métonymiques à la fois de l'amour et de la mort (on offre des fleurs à son amoureux/un enterrement), les étranges fleurs, les cieux plus beaux évoquent, sinon l'Autre Monde, du moins un monde autre. Les mêmes évocations indirectes de la mort et associations étroites de la mort et de l'amour apparaissent tout au long du poème : cf. usant, dernière (annonçant la mort) ; les flambeaux et les miroirs (évoquant aussi bien la mort que l'amour) ; sanglots et adieux, un soir, l'ange, les portes (métaphore de la frontière avec l'au-delà ?), ternis -- autant d'évocations indirectes de la mort ; un éclair suggère aussi bien, métaphoriquement, le moment fulgurant de l'orgasme de l'instant innommable de la mort. Le dernier mot du poème est l'adjectif mortes : il est à mettre en connexion avec le premier mot (le pronom nous), par une série de relations indirectes : mortes est épithète de flammes, qui est métaphore de coeurs (vers six), employé métonymiquement pour nous.

 

 La métrique manifeste une tendance à privilégier les effets de symétrie. Le poème est l'exemple relativement rare d'un sonnet en décasyllabes, dont tous les vers sont rigoureusement césurés cinq/cinq (au lieu des coupes usuelles quatre/six ou six/quatre). Ainsi s'établit un équilibre parfait entre les deux hémistiches de chaque vers. On peut retrouver la même volonté de symétrie dans la disposition des rimes des quatrains : les rimes croisées (« irrégulière » dans le sonnet) reposent sur une alternance soulignée de rimes féminines et masculines. Les rimes croisées réapparaissent dans les tercets (vers 11 -- 14), pour détacher le distique des vers 9 -- 10 (moment suprême, éclair de l'amour et/ou de la mort).

 Les quatrains sont uniformément au pluriel (alors que dans plusieurs cas, le singulier serait prosodiquement et sémantiquement possible). À l'intérieur du futur, il n'y a aucune différenciation temporelle (on ne trouve aucun adverbe ou circonstanciel de temps) : les quatrains ne distinguent pas différents moments du temps. Les deux verbes principaux auront et seront, sont des verbes statifs (indiquant un état permanent), à contenu très général ; on ne trouve aucun verbe d'action à proprement parler. En l'absence d'action, l'accent est mis sur les lieux (sur, sous, dans) et sur les rapports de possession (nous aurons ; leur chaleur ; nos coeurs ; leur lumière ; nos esprits). Le passé et le présent gommés, le futur apparaît comme une longue période indéterminée, dont la longueur est répercutée par les pluriels, dont tout événement possible est banni et où les amants, confondus dans l'unité du nous, sont laissés dans la jouissance de leurs possessions, matérielles et spirituelles.

 En l'absence de différenciation temporelle, les quatrains présentent une différenciation spatiale : dans le premier quatrain (Q1), nous est présenté en rapport de contiguïté concrète avec des objets matériels (des lits, des divans, des fleurs), évoquant une série indéfinie de « chambres », sur un fond plus vaste et lointain (des cieux) ; dans Q2, des synecdoques moins matérielles de nous (nos coeurs, nos esprits) sont mises en rapport métaphorique avec des objets à vocation plus spirituelle (flambeaux, miroir), eux-mêmes métonymiques des chambres ; il y a dans Q2 un rétrécissement, une concentration de l'espace, et une sorte de spiritualisation et d’intériorisation de la chambre : le seul mouvement suggéré dans les quatrains va dans le sens de la concentration, de l'intériorisation et de la sublimation de la passion. Surtout, Q2 introduit un extraordinaire jeu de dédoublement (« deux » 3 fois ; double ; jumeaux) ; mais, loin de correspondre à la division naturelle de nous en je et tu (ou je et elle), ce dédoublement est perpendiculaire, si on peut dire, à cette division (on a, d'un côté, nos deux coeurs, et, de l'autre, nos deux esprits) ; ce dédoublement est lui-même redoublé par les miroirs. Ce jeu de dédoublement a pour effet de nier plus encore, si c'est possible, la dualité réelle irréductible du je et du tu, tout en l'évoquant nécessairement.

 Le système des rimes dans Q2 présente aussi un beau jeu de dédoublement : des rimes intérieures apparaissent à la césure, rimes brisées embrassées, qui redoublent, à contretemps, les rimes croisées de la fin de vers. Paradoxalement, ce dédoublement renforce l'unité du quatrain, puisque chaque vers, par ses deux rimes, est étroitement lié à tous les autres. Le système de rimes brisées déborde de Q2 : les mêmes rimes en [i] et [on] apparaissent respectivement au vers 1 et 14, 2 et 10 ; les rimes embrassées de Q2 sont donc comme réfléchies par les miroirs de Q1 et des tercets.

 Les tercets introduisent une différenciation temporelle nette, par des adverbiaux au début du premier tercet, T1, (un soir) et de T2 (et plus tard). Corrélativement, le singulier apparaît, et on retrouve dans les tercets une répartition à peu près égale des singuliers et des pluriels. Après l'éternité dans le futur des quatrains, chaque tercet présente un moment du temps nettement distinct. Les verbes (échangeront, entrouvrant, viendra ranimer) sont cette fois nettement des verbes d'action dont les sujets sont des « agents ». Une particularité important au vers 10 : le verbe échanger, qui, sémantiquement, met normalement en cause deux agents distincts, implique que le nous du poème se différencie en un je et un tu ; mais la distinction des deux protagonistes est refusée par la construction syntaxique : échanger demande un complément d'objet direct non unitaire (pour qu'il puisse y avoir échange !) ; nous échangerons un éclair unique présente donc une anomalie relative, renforcée par l'ambiguïté d'unique (un seul éclair/un éclair sans pareil) ; cet échange particulier démontre l'impossibilité de scinder l'unité du couple d'amants. Notons le parallélisme entre le vers 10 et le vers 7 : parallélisme syntaxique, phonétique (correspondance des rimes brisées en [ron]) et sémantiques (avec des éléments de contraste : lumière/éclair, double/unique, réfléchir/échanger, verbes qui impliquent tous deux l'idée d'un va-et-vient) ; le vers 10, à la fois, prolonge le climat métaphorique et spirituel du deuxième quatrain, et y introduit une transformation radicale.

 Les deux moments des tercets évoquent nécessairement, en l'absence de tout autre événement, les deux seuls événements dans le futur qui, si leur date est indéterminée, sont sûrs d'arriver (du moins, pour le second, dans la tradition chrétienne) : la mort, et la résurrection. Mais là où, dans le réel, une vie faite d'événements et d'actions se termine par une mort subite, non agie (sauf cas de suicide ou de sacrifice délibéré), on a ici une vie sans événement, déjà toute pénétrée de la mort, et qui ressemble à l'éternité, suivie d'une action commune, réciproque et métaphorique.

 L'ange du vers 11 est le seul nom animé de tout le sonnet (en dehors de nous) ; mais les anges n'ont pas de sexe, et ils viennent d'un autre monde, ne sont pas humains. La présence ici de cet ange accentue l'absence, dans tout le sonnet, de toute référence aux autres hommes (les amoureux sont seuls au monde) ; de plus (cf. fidèle est joyeux), elle exclut toute référence au conflit de l'amour profane et de l'amour sacré, ou de l'amour et du salut, tout en contribuant à abolir, si c'était encore nécessaire, l'opposition de l'amour sensuel et de l'amour spirituel.

 L'alternance nous (Q1) / nos (Q2) / nous (T1) laisse plus ou moins nettement attendre dans T2 une  occurrence de nos, d'autant que de Q1 à Q2 et de T1 à T2 se manifeste le même glissement d'un cadre spatial élargi à l'espace confiné de la « chambre ». Mais notre attente est déçue : dans T2, au lieu de nos, on a les : le nous a tout à fait disparu ; il ne reste que les miroirs et les flammes qui renvoient aux miroirs et aux flambeaux de Q2, métaphores de nos esprits et de nos coeurs, eux-mêmes synecdoques spirituelles de nous.

 Si les deux moments de T1 et T2 évoquent le moment de la mort et celui de la résurrection, ils n'en restent donc pas moins très ambigus. En particulier, ce qui se passe dans T2 est tout autre chose que la résurrection des corps chrétienne : nous a vraiment disparu ; tout ce qui en revit, sublimation ultime, c'est la métaphore d'une synecdoque.

 Curieux poème d'amour : il n'affirme l’indissolubilité du couple que pour le faire s'évanouir dans une mort sur laquelle vient anticiper le déroulement d'une vie uniforme..."

 

 

 

 

18 juin 2008

La Mort des Amants - Plan de cours (I)

Voici donc un petit compte rendu du cours du 12/06 sur La Mort des Amants.

 

Les commentaires composés de vos camarades sont à lire et à relire, car très instructifs. Vous veillerez lors de l’introduction de ce poème, à rappeler particulièrement sa place dans le recueil (dernière section :La Mort).

Si Les Fleurs du Mal a pour but de présenter au lecteur le Spleen, et de lui faire entrapercevoir l’Idéal du Poète, le livre est parsemé de tentatives pour s’extraire de la fange du monde réel et pour accéder à l’ailleurs. La dernière section est peut-être l’ultime ressort, l’espérance finale du poète en un « gouffre », « Enfer ou Ciel, qu’importe » qui lui apportera enfin une existence à sa dimension, l’azur tant convoité par L’Albatros.

 

J’ai proposé pour cette lecture, non un plan de commentaire composé qui serait nécessairement complexe, mais un plan de lecture, simple, maladroit, mais clair, je l’espère. Il s’articule en deux axes évidents : Visions de l’amour et Visions de la mort. Nous tenterons la synthèse des deux en conclusion.

 

Je vous mets en garde encore une fois contre l’angoisse qui s’empare de certains d’entre vous à l’idée d’avoir à présenter ce sonnet : il est compliqué, oui, mystérieux, sans doute, mais il l’est pour tout le monde ! L’examinateur est face à lui dans le même état de perplexité que vous, et peut-être même pire encore ! Nous ne tentons pas, vous ne tenterez pas, d’en donner l’explication ultime, véridique et totale, mais simplement de déployer le potentiel de signification qu’il recèle, à travers une lecture éclairée.

 

I Visions de l’amour

 

 Le thème est évident et annoncé clairement dans le titre, mais son traitement est particulier

 

1) Duo d’amour

 

Il est difficile d’envisager l’étude d’un poème d’amour sans étudier la dimension qu’y revêt le chiffre « 2 » !

 

· Le système pronominal :

- le poème s’ouvre sur la personne du couple : « Nous »

- celle-ci se développe sous différentes formes jusqu’à sa dernière apparition au vers 10.

- Entre ces deux apparitions du couple-sujet, on remarque la double occurrence du déterminant possessif « nos », lequel insiste sur la communauté de possession, en parallèle, voire peut-être réciproque (Qui possède le cœur de qui ?)

- Au vers 4, le « pour nous », complément d’objet indirect, insiste cette fois sur une communauté de destination, le couple est cette fois-ci le bénéficiaire unique de l’action.

Cette simple étude du système des pronoms personnels met déjà en évidence l’importance primordiale d’un « Nous », initiant par deux fois le vers et l’action. Origine du désir et de l’acte, il en est aussi le destinataire, définissant ainsi dès le départ un univers amoureux clôt sur lui-même !

 

· Le sonnet : une structure binaire ?

- 2 quatrains destinés au couple et 2 tercets ou celui-ci s’efface.

- 1 distique (v.9/10) dans lequel d’ailleurs fusionne le couple.

- Une forme traditionnellement vouée à l’amour (Pétrarque)

- Une disposition particulière des rimes : elles sont identiques en §1 et §2, ce qui est normal, mais croisées ; est-ce là une volonté particulière du poète pour mettre en valeur, par le jeu de l’alternance serrée des rimes masculines et féminines, l’union étroites des amants ?

 

· Le décasyllabe, plus léger, moins sentencieux que l’alexandrin. Il se prête également au chant.

 

· Une métrique symétrique ! Chaque vers comprend une pause en son exact milieu, se divisant ainsi en deux hémistiches rigoureusement égaux, ouvrant alors la voie à tous les parallèles et les symétries possibles. Il faut rappeler que la césure normale d’un décasyllabe est 6/4 ou 4/6, et non comme ici 5/5 !

 

· Jeux rythmiques : De nombreux vers possèdent un rythme double, tantôt parallèle, tantôt symétrique :

- parallèles 2-3/2-3 : vers 13 ; ou 3-2/3-2 : vers 1, 3, 8, 10, 11, 12, 14.

- anti-symétriques 2-3/3-2 : vers 4, 5, 9 ; 3-2/2-3 : vers 7

· la strophe 2 : il ne peut échapper à personne qu’elle est composée sous le signe de son ordre : le 2. « deux » (x3), « doubles », « jumeaux ». Il n’est pas temps de tenter ici d’en déployer le sens, cela sera fait plus loin.

 

 

2) Plaisirs d’amours

 

Là non plus, rien de surprenant : chanter le plaisir et / ou la douleur d’amour est une vieille tradition de la poésie amoureuse…

 

· Beauté : l’amour chez Baudelaire est indissociable de l’esthétique, il s’accomplit sous le signe des « fleurs » et du « beau[x] », ce dernier monosyllabe apparaissant trois fois à la rime.

Cette beauté est essentiellement visuelle chez cet amateur de peinture, et donc indissociable des « lumières », de leurs « cieux » lumineux, des « flambeaux » de « l’éclair » qui foudroie et aveugle ou des « miroirs » (v.8 et 14)) qui multiplient points de vues et reflets. Même le « soir » se fait harmonie de couleurs.

· Luxe : on notera l’abondance des pluriels qui inondent le poème du vers 1 au vers 8, puis disparaissent pour ressurgir dans le décasyllabe final. Ceux-ci ne sont manifestement pas appelés par le sens premier des mots : « des lits », « des divans » ne sont pas nécessaires aux amants. Cette accumulation de pluriels donnent inévitablement naissance à une sensation d’opulence, chère au cœur de Baudelaire (se souvenir du §2 de l’Invitation au voyage : « des miroirs profonds », « des meubles luisants », « les riches plafonds »). Pour être heureux, l’amour baudelairien se doit de s’épanouir dans la richesse et l’abondance.

· Sensualité : l’amour est aussi fête des sens et nous venons de voir que la vue est le premier de ceux-ci à être flatté. Mais l’odorat est essentiel chez Baudelaire et omniprésent dans son recueil. Ici, les « odeurs » sont légères et les « fleurs…écloses » diffusent leurs parfums. Le toucher est à peine évoqué, curieusement, mais la « chaleur » est perceptible, seule trace d’une peau absente. De même, la scène semble bien silencieuse, mais un étrange « sanglot » vient quand même démontrer qu’elle n’est pas muette…

· Volupté : la situation de Baudelaire à l’égard de l’amour charnel est souvent paradoxale (Le serpent qui danse, l‘Invitation au voyage, etc.). Mais celui-ci n’est pas absent de La  Mort des  Amants. On y trouve « des lits » pour s’aimer la nuit, et des « divans » pour s’enlacer le jour, ces derniers semblent « profonds » et douillets à souhait. Les amants semblent dépenser sans retenue, « à l’envi », leur chaleur interne, à tel point que cette combustion prend la forme d’un incendie (« vastes flambeaux »). Par ailleurs, la troisième strophe peut se lire comme l’apothéose d’un désir réciproque, lequel se résoudrait par une décharge électrique violente et simultanée, « l’éclair unique », qu’accompagne « un long sanglot », émanation par définition profonde et inarticulée du corps. Enfin, dans la dernière strophe, l’Ange entrouvre la porte : cette retenue, et cette discrétion sont-elles la marque de son respect pour le sommeil intimes des amants ?

 

 

3) Un étrange absent : le corps

 

Malgré tout ce qui précède, il est impossible de ne pas remarquer que le corps est totalement absent de ce poème : ici nulles lèvres ne s’embrassent, nulles mains ne se serrent, nulles bouches, nulles peaux, nuls bras, yeux, cheveux. Bref, nul corps. Alors que celui-ci est traditionnellement au cœur du chant d’amour. Nul corps ? « Deux cœurs », cependant, mais cet organe interne est-il encore fait de matière lorsqu’il s’embrase au vers 6 ; n’est-ce pas seulement une classique abstraction amoureuse ?

Il faut donc tempérer nos velléités d’interprétations charnelles, tant les deux amants semblent dés-in-carnés, sans « carne », sans chair. Nous touchons là au paradoxe récurrent qui innerve la poésie amoureuse baudelairienne : le conflit entre la chair et l’esprit, l’enfer et l’idéal, la mégère et la muse, l’ange et le vampire, les sens et l’essence …

 

4) 1+1=1 ?

 

L’équation amoureuse n’a pas encore trouvé son Grothendieck. Selon les principes de résolution, on trouvera 1+1=3 – comme votre camarade qui voit dans l’arrivée finale de l’Ange, un « heureux événement » - ou 1+1=2 chez les tenants de l’individu et de la complémentarité des amants. Chez ces derniers, ce sont les contraires qui s’attirent, chez Baudelaire, à l’évidence, ce sont les similaires : l’Autre est souvent le Même !

 

· De l’Autre au Même : Identité

 

 Le titre comme la première strophe du poème évoque un couple (les « amants », « nous »), mais très vite il devient difficile, et même impossible de différencier les deux partenaires.

 

- « amants » est un curieux mots : asexué, il désignent « ceux qui s’aiment » sans distinction aucune de leur particularité, notamment de leur identité sexuelle, au contraire du couple singulier amant/maîtresse. On retrouvera cette « asexualité » à la fin, incarnée el la personne de l’ange.

- « nous » s’inscrit dans une communauté indistincte : ce sont ceux qui « auront », et ceux qui recevront (« pour nous »), la aussi, le couple reste indivisible, les individualités n’apparaissent pas.

- Les « deux cœurs », comme les « deux esprits » sont encore…deux, c’est à dire séparés. Mais rien ne permet de les différencier : ils sont soit « deux vastes flambeaux », soit des « miroirs jumeaux », même dans la métaphore, ils sont identiques, et même partagent une origine commune comme le suggère le terme « jumeaux ».

- Le comparant « miroirs » vient renforcer la parfaite gémellité des amants, puisque celui-ci à la particularité de renvoyer l’exacte image, le parfait reflet de l’objet qui lui est présenté. La présence dans ce mot de la matière « vitre », « glace », associé au comparé « esprit » peut également évoquer les fenêtres, ou miroirs de l’âme que sont les yeux. Le regard parfait des amants est ainsi échange du reflet de l’autre dans les yeux de l’un. Cette exactitude de l’image renvoyé n’est pas sans rappeler non plus, comme un de vos camarade l’a dit, le mythe de Narcisse, amoureux de sa propre image, et son inévitable destin : la noyade dans le reflet de l’étang.

- Enfin, la structure même des vers 6/7/8 participe à la confusion des individus :

 

 Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,

 Qui réfléchiront leurs doubles lumières

 Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

 

 Le vers 6 a une structure et un fonctionnement parfaitement identique au vers 8. Deux métaphores s’y développe : comparé dans le premier hémistiche, comparant dans le second. Les comparés sont deux synecdoques (la partie pour le tout) des amants, les comparants sont deux objets possiblement présents dans la chambre évoquée dans le premier quatrain, et déjà en passe d’être désertée.

Chaque hémistiche comporte un duo d’objets identiques se rapportant aux amants. Les rimes finales de ce quatrain sont croisées, comme nous l’avons déjà signalé, mais il comporte en outre à l’hémistiche des rimes brisées (intérieures) embrassées en [on] et [i], qui viennent renforcer la cohésion et l’intrication des vers, symbolique de celle des amants.

Enfin le vers 7 joue le rôle de lentille, de foyer, de point de symétrie. Dans ce système grammatical qui est aussi optique, il permet l’échange réciproque et simultané des « lumières », redédoublées, et achève la confusion des identités, tout en réaffirmant la dualité du système !

 

· Du Même à l’Unique : Fusion

 De la confusion à la fusion, il n’y a qu’un pas. Celle-ci se réalise dans le distique suivant. Son existence est conforme à la tradition du sonnet, sa structure particulière (rimes plates, identiques et suivies) va favoriser la fusion des deux entités en une seule.

 Il convient de noter l’originalité des rimes employées [ik] : cette sonorité, formée d’une voyelle brève et aiguë et d’une consonne occlusive tout aussi brève et sèche, laisse le vers en suspend, en arrêt à son sommet, et imite assez bien la vivacité, la brièveté, mais aussi l’apogée du phénomène décrit.

 Ces deux vers sont aussi le lieu du retour à un temps précis (« un soir ») et singulier, alors que les scènes précédentes se déroulaient dans un futur indéfini.

 Pour la dernière fois, le deux apparaît sous la forme de deux couleurs entremêlées (« fait de rose et de bleu ») et du dernier pronom « nous », qui est aussi le sujet de la première, et dernière action des amants.

 Cet « échange » est justement assez particulier : le verbe implique en principe la présence d’un COD double, deux personnes ne pouvant échanger que deux objets. Ici, l’éclair est « unique » : est-il né des deux ? destiné aux deux ? En tous cas, il est central et les amants semblent s’éteindre avec lui : l’éclair est fusion du plasma et des amants.

 Ce premier tercet est ainsi sous le signe du « 1 » enfin réalisé et parachève ce que le vers 7 avait annoncé : les « doubles lumières » font place à « l’éclair unique » et le « réfléchiront » impersonnel au « échangerons » qui évoque le partage final.

 

 

La fusion des amants dans un amour parfait n’est pas une invention baudelairienne, ni même romantique, mais jamais sans doute en poésie elle n’avait été réalisée avec une telle perfection.

 

Les visions de l’amour qui se reflètent ici sont donc à la fois issues dans ancien héritage – le duo, le plaisir – mais aussi totalement empreintes de l’univers et de la symbolique baudelairienne. La dématérialisation des corps permet enfin la fusion parfaite et absolue des mystérieux « amants » dont il est impossible de déterminer les caractères.

 

Mais la fusion totale ne peut aussi qu’être une mort absolue : si le 2 peut être origine, le 1 est une fin. Sans issue ?

 

A suivre : II Visions de la mort

17 juin 2008

Navires baudelairiens

Bonjour,

 

Une de vos camarades me pose la question suivante :

 

Bonjour monsieur,


je voudrais avoir quelques précisions sur l'invitation au voyage svp:


qd vous dites que les "vaisseaux" feraient référence a Marie Daubrun, mais en mm tps la femme serait " une femme port" cela n'est pas possible puisque les vaisseau "assouviraient" ses moindre désirs? il y a donc une distinction entre les vaisseaux et la femme? non?


et je ne comprend pas le deuxième axe d'étude: 2) un paradis terrestre? la femme idéale serait la mère ???


ce poème est très flou pr moi

 

Cela fait deux questions en une, mais je vais tout au moins tenter de répondre à la première…Reprenons donc l’Invitation au Voyage et le passage incriminé :

 

« Vois sur ces canaux

Dormir ces vaisseaux

Dont l’humeur est vagabonde ;

C’est pour assouvir

Ton moindre désir

Qu’ils viennent du bout du monde. »

 

Je vous propose de vous pencher sur la signification du navire, sinon dans la totalité de l’œuvre de Baudelaire, mais au moins dans quelques uns des poèmes du recueil. Pour fournir un peu plus de matière à notre étude, voici un extrait du poème précédent L’Invitation  et qui lui aussi appartient au « cycle de Marie Daubrun » : « Le Beau Navire » :

 

« Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,

Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,

Chargé de toile, et va roulant

Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. »

 

Puis voici deux autres extraits d’un poème que vous reconnaîtrez :

 

« Sur ta chevelure profonde

Aux âcres parfums,

Mer odorante et vagabonde

Aux flots bleus et bruns,

 

Comme un navire qui s’éveille

Au vent du matin,

Mon âme rêveuse appareille

Pour un ciel lointain.

 

 

Et ton corps se penche et s’allonge

Comme un fin vaisseau

Qui roule bord sur bord et plonge

Ses vergues dans l’eau »

 

On pourrait aussi ajouter « La Chevelure », « Parfum exotique » et d’autres encore…

 

Premièrement, qu’est-ce qu’un navire ? Un vaisseau ? Eh bien, c’est un bateau ! Tout simplement…Navire est moins courant, quant à vaisseau (navire d’une plus grande importance) il est déjà vieilli au XIXè. On reconnaît là, le goût de Baudelaire pour les mots nobles et recherchés.

 

Deuxièmement, qu’est-ce qu’un navire, un vaisseau, pour Baudelaire ? Eh bien, tout simplement ce qu’il en a vécu ; et sa grande expérience en la matière est son voyage vers nos contrées à bord d’un…bateau (oui, c’est plus commun). On ne s’étonnera pas que celui-ci représente un moyen d’évasion, l’instrument qui permet d’accéder à l’ailleurs. Je rappelle au passage que les cales du navire sont pleines de marchandises, les passagers venant en sus. Mais j’y reviendrai.

 

Il est temps maintenant de réfléchir aux connotations, à la constellation de sens qui se déploie autour du mot dans les poèmes.

 

Un premier usage semble celui d’utiliser le vaisseau comme le comparant du corps de la femme en marche (« tu fais l’effet d’un beau vaisseau », « comme un fin vaisseau »). Comme celui-ci, il « roule », chaloupe ( ! ). Le vaisseau se féminise, il est nonchalance, sensualité aussi.

 

Un deuxième usage, évident, est d’associer le navire au voyage : c’est le cas dans Le serpent, « Comme un navire…mon âme…appareille ». Cette fois-ci la femme, plus exactement sa chevelure, est associée à la mer (l’amer ? la mère ? « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! »), elle est le support, le moyen de l’évasion, et le navire symbolise le voyage de l’âme.

 

Enfin j’ouvre une parenthèse sur « Le Beau Navire » dont voici un autre passage :

 

« Ta gorge triomphante est une belle armoire

Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses,

De vins, de parfums, de liqueurs

Qui feraient délirer les cerveaux et les cœurs ! »

 

Non seulement la femme est associée au « Beau Navire », mais comme lui, elle recèle des trésors dans son intérieur (nous l’avons vu : elle est amphore, vase, outre, …).

 

Revenons donc à notre problème : quid des vaisseaux de « L’invitation au voyage » ?

 

Tout d’abord, ils dorment ! Ils ne roulent donc pas, ni ne chaloupent, ni n’ondulent.

Certes leur humeur est « vagabonde », est-ce à dire qu’ils sont imprévisibles et capricieux comme la femme (« Souvent femme varie, Bien fol est qui s’y fie ») ainsi que le dit le proverbe ? Je ne crois pas.

Leur vagabondage est géographique, et idéal aussi, comme l’âme du poète « rêveuse ». Ils viennent du bout du monde, ils sont exotiques, reviennent de l’ailleurs, de l’étrange, du « Là-bas ». Ils dorment, rêvent peut-être, et leurs cales sont pleines de tout ce qui peut « assouvir [l]es moindres désirs ».

Par là, peut-être, ils se rapprocheraient de la femme-armoire-navire, mais celle-ci comble le poète par ses poisons, ses élixirs, qui le font « délirer ».

Je crois qu’ils sont plutôt à l’image du poète et de son « âme rêveuse », ils dorment, car ils reviennent d’un long voyage dont ils ramènent des secrets, des images, rares et précieuses, qui combleraient l’âme sœur. Ils dorment, mais bientôt « comme un navire qui s’éveille », ils repartiront, « âmes rêveuses » voyageant en compagnie de la femme-mer. N’oubliez pas que là, « tout y parlerait à l’âme en secret », (l’amant secret ?).

 

Et la femme-port ? Tous ses bateaux convergent vers elle ; du bout du monde, ils viennent et leur raison, leur sens, leur est donné par ce but unique : elle et la satisfaction jusqu’à l’extinction (‘comble ») des ses moindres désirs, la mort du désir, en somme. Alors le poète, si c’est lui, serait l’origine et la fin du désir de « sa sœur » d’élection (et vice-versa : le deux et son reflet dans le deuxième quatrain de « La mort des amants »).

 

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question, mais je me suis efforcé de développer un peu le sens de ces quelques vers, en m’appuyant sur quelques poèmes.

Pour la deuxième question, je répondrai d'une manière plus générale : si vous ne comprenez pas quelque chose, ne le retenez pas ! Dans le cas contraire, vous risquez de ressortir une phrase toute faite lors de l'entretien, l'examinateur le verrait : "ça sent le prof", se dirait-il...Et il serait tenté de vous interroger sur ce point précis, bien sûr, vous ne sauriez répondre !

En l'occurrence, n'allez pas dire "la femme idéale est donc sa mère, selon Baudelaire" ! ce serait réducteur, abrupt, et injustifié, voire injustifiable !

Souvenez-vous simplement, et je suis sûr que vous pouvez le comprendre, de cette chambre douce, chaude, riche et raffinée de la deuxième strophe, cette chambre "natale", peut-être y-a-t il un parallèle à faire avec celle de "la mort des amants". Et puis, laissez vous bercer par "la chaude lumière", "le monde s'endort", extinction des désirs, plénitude, réplétion...est-ce la satisfaction des amants ? Celle d'un bébé repus ? Nous ne le saurons pas. Bonheur, complétude, plénitude, chaleur, c'est ainsi "Là-bas".

 

Si des questions subsistent, n’hésitez pas.

 

 

16 juin 2008

Objet d'étude : Argumentation

Voici un nouveau sujet consacré à l’objet d’étude argumentation.


Un de vos camarades me pose la question suivante : Les répétitions + le voc simple + les phrases simplistes st-elles les moyens mnémotechniques dt on parle ds les textes de Beauvoir? de Sartre ? et d'Albert?


Plusieurs remarques s’imposent :

    - le terme « simpliste » est à manier avec précaution ! En effet, il est assez péjoratif…Je ne l’ai employé que pour le texte de Sartre, et vous devrez être réservé dessus. Je vous rappelle qu’il n’est venu qu’à la fin de l’étude, dans une conclusion, et qu’il s’appuyait sur des arguments. On ne peut brutalement accuser un grand philosophe, prix Nobel de littérature de tenir des raisonnement « simplistes » !! Disons que son argumentation est simplifiée de telle sorte qu’on ne puisse y échapper, et qu’il y a peu de place pour la nuance.

    - Le vocabulaire simple est présent chez Sartre et chez Jacquard, mais la raison en est différente. Jacquard emploie volontairement un lexique simple et non spécialisé pour être compris de son jeune destinataire. Sartre emploie des mots, une syntaxe et des images simples pour enfermer son lecteur dans l’évidence de son argumentation : c’est si simple que nul ne peut le contredire.

- Les répétitions sont une catégorie des figures de style. Tout le monde peut les employer : politiques, avocats,…tous ceux qui composent des discours et veulent convaincre. La répétition est le marteau du langage : à force de taper, le message finit par rentrer !


J’espère avoir répondu à cette question, et j’attends les autres.

16 juin 2008

L'oral - Rappel

Comme de nouvelles - ou anciennes - questions se (re)posent concernant l'épreuve et son déroulement, j'ouvre un nouveau sujet à ce propos. Vous pourrez ainsi déverser ci-après vos angoisses - légitimes - que je m'efforcerai de résoudre...

Un de vos camarades reste perplexe devant les temps respectifs de chaque moment de l'épreuve. Il semble que des annales soient contradictoires à ce sujet. Je répète donc, et confirme ce que j'ai dit :
    1) Vous êtes à l'heure, et même largement en avance, à votre oral. Pour ma part je convoque les candidats de demi-heure en demi-heure, et fixe les horaires le matin. D'autres vous demanderont d'être présents en début de demi-journée et d'attendre votre tour...Vous n'aurez pas le choix.
    2) Vous entrez, vous vous présentez (Papiers !) poliment. L'examinateur vous fait tirer un sujet au choix, ou vous l'impose. Vous vérifiez que vous comprenez bien la question et demandez gentiment le cas échéant des éclaircissements (ne partez pas au fond de la classe sans comprendre le sujet !). N.B.: A cet instant, l'examinateur peut vous sembler de mauvaise humeur, cela n'a rien à voir avec vous, oubliez-le, comme il vous aura oublié une demi-heure plus tard !
    3) Vous avez 30 minutes pour préparer votre réponse sous forme de notes organisées sur lesquelles vous parlerez (c'est un oral pas une lecture !).
    4) L'examinateur vous appelle. Vous vous installez et avez alors 10 minutes pour votre entretien (réponse à la question), pas plus ! Si vous êtes trop bref, l'examinateur est en droit de vous questionner sur le texte pour vous aider à avancer. Il peut aussi passer directement à...
    5) ...l'entretien. Il dure lui aussi 10 minutes. Il peut porter sur le groupement de texte d'où est extrait votre sujet. Mais il peut aussi porter sur un autre objet d'étude, si l'examinateur le juge nécessaire ( ou si vous arrivez à exprimer une préférence argumentée). Cet entretien est destiné à évaluer vos connaissances générales, votre capacité au dialogue : écouter une question, élaborer une réponse ou simplement la chercher, échanger avec l'autre, vous interroger, partir sur de nouvelles voies, faire des rapprochements, ...
C'est une épreuve vivante et, comme on dit maintenant, interactive. Les écueils à éviter sont le silence, l'ignorance absolue, et surtout le désintérêt: combien de candidats nous montrent à l'évidence, par leur attitude, leurs gestes, le ton de leur voix qu'ils n'ont rien à faire de tout cela et que la matière (celle que nous aimons) les laisse totalement indifférents ! Cela revient implicitement à un "tu me fais c....", fort mal venu, puisque nous aussi, nous aimerions être ailleurs !
Faites nous passer un bon moment, soyez vivants, intéressés, passionnés par le texte, actifs à réfléchir aux questions, toujours en recherche : c'est le secret d'un oral réussi (enfin je crois).
    6) Puis l'examinateur vous remercie, vous vous retirez, et dans le secret religieux de sa retraite, il se concentre, pèse scrupuleusement le pour et le contre...
... et vous met une note au hasard.

N.B.: La note est divisée en deux parts égales : 10 pour l'entretien, 10 pour l'exposé. Les deux sont totalement indépendantes : un exposé totalement raté, peut être suivi d'un très bon entretien. Ne vous angoissez donc pas s'il vous semble avoir échoué à répondre à la question : oubliez tout, et lancez vous dans le dialogue !

N.B.2: Ne vous fiez pas à la tête de l'examinateur pour évaluer la qualité de l'entretien : je suis toujours courtois, mais cela ne m'empêche pas de juger sévèrement un candidat, à l'opposé, un examinateur affublé d'une vraie tête de cochon boudeur vous mettra une excellente note si vous la méritez !

Une camarade me demande s'il est nécessaire de rappeler la question posée.

C'est un procédé tout à fait légitime, et bienvenu : l'examinateur peut ne plus très bien savoir où il en est et l'exposé doit se faire facilement pour lui, surtout après le repas de midi. Vous introduisez donc le texte, puis faites votre lecture, et ensuite vous lui rappelez la question posée ("On peut se demander...", "Vous m'avez demandé(e)", etc...) et vous annoncez le plan choisi pour répondre à la question. Par ailleurs, c'est un procédé qui vous oblige, en principe, à annoncer un plan répondant à la question, et à le développer; démarche qui ne va pas de soi pour tous les candidats. Et pourtant, rien de plus énervant que quelqu'un qui ne répond pas à la question qu'on lui pose...

Voilà, place à vos questions :

15 juin 2008

Dom Juan : pièce classique ou baroque ?

Votre camarade nous glisse la question suivante :

 

Aujourd'hui je m'interrogerai sur le caractère baroque ou classique de Dom Juan. Il semble que ce soit un peu les deux à la fois... Mais tout compte fait puisque les règles classiques ne sont pas respectées, cette oeuvre n'est-t-elle pas plus baroque que classique ?

L'aspect baroque de la pièce est-il bien contenu dans l'exagération, l'apparition d'êtres surnaturels telle la statue du commandeur, le thème du libertinage, le mélange de différents registres ? Y a-t-il autre chose ?

Et surtout, à part le fait que Molière, communément associé au classicisme soit son auteur, qu'est- ce qui rattache encore cette oeuvre à l'esthétique classique ?
J'ai beau chercher sur Internet, je ne trouve pas deux avis identiques...

 

…et nous donne la réponse !

 

Effectivement, Dom Juan a très tôt été reconnue comme une œuvre étrange, « macédoine », « pièce bizarre, incohérente », « habit d’arlequin » et j’en passe !

 

Rappelons que le baroque est un mouvement esthétique né au XVIème siècle et qui ne cesse d’alimenter tout le XVIIème, malgré la domination du classicisme dans la deuxième moitié. Ses valeurs sont l’instabilité, la métamorphose, l’illusion, le mouvement, …À l’image de la nature, il aime ce qui va, vient, meurt et renaît. Il aime aussi et avant tout montrer, et se montrer, c’est un art de l’apparence et de l’éclat. Jean Rousset a écrit un livre sur ce sujet qui s’intitule Circé et le Paon : Magie, illusion, disparition, mais aussi ostentation, voire vanité.

On comprend à quel point cette esthétique s’oppose au classicisme, art de la discipline, de la mesure, de l’ordre, de la rigueur et de l’équilibre, art de la perfection formelle, mais aussi, parfois de la froideur.

 

Il n’est pas difficile de voir que Dom Juan, le héros, comme la pièce, appartient à la première esthétique ! On considère parfois aujourd’hui que c’est une des pièces les plus baroques du XVIIème, avec L’illusion comique, « étrange monstre » de Corneille.

 

Quelques éléments pour appuyer ceci :

 

Les 5 règles classiques sont bafouées !

- unité de lieu : on en change à chaque acte ! voire deux ou trois fois par acte !!

- unité de temps : au moins 36 heures au lieu de « l’espace d’une journée »

- unité d’action : combien de péripéties peuvent sembler (et sont réellement !) accessoires, et pourraient aisément être supprimées.

- Bienséance (ni violence, ni grossièreté, ni offense à la morale, ni mélange de classes sociales) : mort de DJ, scène de repas (grossier), insulte au père, au mariage, à l’honnêteté, à la tempérance, hypocrisie, mensonge, séduction, blasphème, …et mariage (tentative) avec des paysannes !!

- Vraisemblance : on nage dans le fantastique !

 

Mélange des genres (que ne tolère pas le classicisme) : farce, comédie, tragi-comédie (conflit amour/honneur avec Elvire et ses frères), et tragédie avec la scène du Pauvre et la mort de DJ.

 

DJ et Sganarelle sont baroques : difficiles, voire impossibles à cerner. Toujours en mouvement, en métamorphose, même les statues bougent ! Sganarelle se donne en spectacle à Gusmann dès I,1 ; puis, c’est DJ qui se pavane (le Paon) devant Sg dès la sc.2. Les deux personnages jouent d’ailleurs l’un pour l’autre en permanence. Ils jouent des rôles, l’un est médecin, l’autre dévot ou célibataire ; ils se déguisent, changent et bougent en permanence : tout est tromperie, illusion ; tout est masque et tous se donnent en spectacle, se montrent pour ce qu’ils ne sont pas.

 

Non, décidément, Dom Juan, n’est pas une comédie classique, même si son auteur a été désigné, sans doute abusivement, auteur de comédie classique.

15 juin 2008

Candide "La boucherie héroïque" Plan de cours

Introduction :

- rappeler les nombreuses guerres de conquête

- conte philo voltairien -> Candide et son « auteur » le Dr Ralph

- Opposition à Leibniz

- parcours initiatique de Candide -> cultiver son jardin

- première leçon du philosophe avec le Mal le plus ancien de l'humanité !

I Visions de la guerre

1) un spectacle grandiose

 première phrase qui pose un absolu (« rien n'était »), accumulation, gradation suivant un
rythme croissant

-> c'est le discours classique du chef de guerre qui entame sa narration du combat, grandiose et magnifique. On peut imaginer la parfaite organisation des années, bien rangées (« ordonné ») et les couleurs vives des uniformes resplendissant (« si brillant ») : c'est une parade, un spectacle !

 Comme dans tout spectacle, il faut de la musique :accumulation des instruments militaires au
milieu desquels se glisse une grosse caisse d'artillerie « le canon » ; on peut là aussi y lire
l'enthousiasme du militaire de carrière, séduit par le spectacle, même si déjà surgit l'ironie
(« harmonie / enfer » )

 Ordre classique du massacre pour tuer les soldats jusqu'au dernier : artillerie, mousqueterie,
baïonnette ; le tout dans cet ordre et chacun son tour !

2) Une comptabilité indifférente

 Le décompte des morts est très approximatif, négligent (« à peu près », « environ »,

« quelques », « une trentaine ») : les victimes sont un détail sans importance pour l'homme du métier, les soldats sont fait pour mourir

 Les verbes employés déshumanisent les victimes. Elles sont « renversées » comme de petits
soldats de plomb, « otées » comme on effectue une soustraction, comme en trop ! le tout « se
monte » comme une addition, comme un bilan comptable.

Candide quitte le spectacle, le « théâtre de la guerre » pour se rendre dans les coulisses :

3) Une vision horrible

 Changement de point de vue : nous revenons à Candide

 Du « tas de mort » à la scène d'horreur détaillée : « vieillards, femmes, enfants, filles »
tous sont des victimes innocentes étrangères au combat.

 Succession de gros plans sur des blessures ou des membres qui s'opposent à la vision
d'ensemble du paragraphe précédent : « criblés de coup », « égorgées », « mamelles
sanglantes » « éventrées » gros plan sur des blessure sauvages, des amputations bestiales
(seins, ventre, ...). « Cervelle », « bras », « jambe » « membres palpitants » dislocation
des corps et de la logique, le regard se perd et perd le sens de tout cela.

 La scène est difficilement soutenable MAIS pas de pathétique explicite (lexique comme
« pauvre » ou « malheureux ») pas de larmes de Candide comme devant le nègre du
Surinam.

 La scène est froidement décrite : ce ne sont que les horreurs traditionnelles de la guerre :
« les lois du droit public » ; à la limite tout cela est normal !

Ces coulisses sont donc mises sur le devant de la scène : à la limite elles sont ob-scènes ! Ce tableau est de mauvais goût, et le chef de guerre glorieux, se vantant de ses haut fait devant les dames, ne l'aurait pas fait.


II Dénonciation et ironie

1) contradictions et absurdités

Bien sûr, Voltaire n'est pas capable d'un tableau neutre et ne peut s'empêcher d'y ajouter son célèbre ton ironique.

 Antithèses et paradoxes : « harmonie » pour l'un cacophonie de « l'enfer » pour l'autre.
Scène « héroïque » dira le guerrier, « boucherie » analyse le philosophe : l'oxymore est
violent, mais explicite !

 Equilibre et réciprocité absurdes : autant de morts « de chaque côté » ; action de grâce
rendues au même Dieu, pour la même victoire, au même instant « chacun dans son
camp » ! Réciprocité des massacres Abares / Bulgares (« traité de même »). Tout cela n'a
décidément aucun sens !

2) Parodie du récit épique

Comme dans les chansons de gestes du Moyen-Age, le combat est « héroïque » et la scène peuplée de « héros ». La bataille est terrible et les chiffres des victimes gigantesque. L'abondance du sang et des détails crus rappellent les blessures sanglantes des chevaliers.

Cependant notre Candide n'a rien d'un héros : il fuit, et sa préoccupation héroïque est la nourriture (« provisions ») et son amourette un peu naïve (« Mlle Cunégonde » et « ses beaux yeux » ; par ailleurs, il ne cherche que le confort et la tranquillité d'un pays accueillant

Enfin les « héros » ont des « besoins naturels » (périphrase euphémistique pour « viol »), comme n'importe quel homme ou animal, et se comportent comme des barbares (viol, assassinats gratuits et lâches de civils).

3) Des dégâts collatéraux !

La guerre n'est pas la seule cible de Voltaire :

« Pangloss » et les « philosophes » : Candide tremble et s'enfuit, le philosophe n'est pas un homme d'action. Par ailleurs, la caricature du discours de Leibniz se retrouve comme à l'ordinaire à travers certaines expressions : « meilleur des mondes », « raison suffisante » « raisonner des • effets et des causes » : l'optimisme est ici ridiculisé, et les sens de cette boucherie n'apparaît pas ! La religion : dans chaque camp, des prêtres, des évèques se compromettent et Dieu avec dans les massacres : Dieu approuve (« Te Deum ») et participe !

La politique : le « droit public » approuvé par les monarques d'Europe tolère les massacres de civils « Malheur aux vaincus » !

Le s militaires : le discours enthousiaste et distant du premier paragraphe est totalement détruit par la réalité du second

Conclusion : Le lecteur, même plus de deux siècles après, est toujours sensible à la force de cette critique de la guerre, tant par l’absurdité que par les horreurs dénoncées. La difficulté de la lecture tient essentiellement à la diversité des voix présentes qu’il n’est pas toujours facile d’identifier. Mais plus simplement, c’est le premier pas dans « le meilleur des mondes » du héros, et il en faudra bien d’autres pour qu’il se résigne à une philosophie plus humble, celle du philosophe de la Fontaine, celle de l’école du Jardin.

3 juin 2008

Dom Juan - Réception et commentaires...

 


Comme demandé, voici le libelle d'un certain Rogemont, qui résume bien ce que les esprits bien pensant de l'époque, et surtout les dévots, pouvaient trouver de scandaleux dans la pièce. On suppose d'ailleurs que sous ce pseudonyme se cacherait un grand seigneur (le Prince de Conti ?) ancien libertin (méchant homme) reconverti en dévot, tout comme Dom Juan se propose de le faire dans la pièce...On comprend mieux la colère de certains, et l'interdiction de la pièce !

Une religieuse débauchée et dont l'on publie la prostitution.

Un pauvre à qui l'on donne l'aumône à condition de renier Dieu.

Un libertin qui séduit autant de filles qu'il en rencontre.

Un enfant qui se moque de son père et qui souhaite sa mort.

Un impie qui raille le ciel et qui se rit de ses foudres.

Un athée qui réduit toute la foi à deux et deux sont quatre et quatre et quatre sont huit.

Un extravagant qui raisonne grotesquement de Dieu et qui par une chute affectée casse le nez à ses

arguments .

Un valet infâme créé au badinage de son maître, dont la créance aboutit au moine bourru car pourvu que

l'on croit au moine bourru tout va bien, le reste n'est que bagatelle.

Un démon qui se mêle dans toutes les scènes et qui répand sur le théâtre les plus noirs fumées de l'enfer.

Et enfin, un Molière, pire que tout cela, habillé en Sganarelle, qui se moque de Dieu et du Diable, qui joue

le Ciel et l'Enfer, qui souffle le chaud et le froid, qui confond la vertu et le vice, qui croit et ne croit pas, qui

pleure et qui rit, qui reprend et qui approuve, qui est censeur et athée, qui est hypocrite et libertin, qui est

homme et démon tout ensemble. Un diable incarné comme lui-même se définit.

3 juin 2008

La dent d'or - Plan de cours

  Voici mon plan de cours pour ce texte, il n'est pas infaillible...mais il vous aidera à reparcourir le texte ! Je suis bien sûr disponible pour tout éclaircissement. Ce "brouillon" a au moins le mérite de vous montrer à quoi peut ressembler une prise de note en vue de l'oral : rien, où presque n'est rédigé, ni figure que les mots clés et l'architecture logique.


Contextualisation :

 

Problèmes : 

· Où commence le XVIIIème ?

· Où placer Fontenelle ?

 

XVIIème : -  siècle « classique »

- fondé sur les Anciens, Antiquité gréco-romaine, Aristote

- fondé sur la puissance de l’église catholique et des théologiens

 

Cependant : - 1628 : Harvey, circulation sanguine, s’oppose à Galien

- 1633 : condamnation de Galilée, s’oppose au dogme

- 1637 : Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, Descartes : s’oppose au respect aveugle des anciens (culture, mémoire, tradition), écrit en français vs latin, prône l’opinion éclairé vs Université, les savants vs les théologiens

--> tout reconstruire, table rase

= « Ne recevoir jamais aucune chose pour vrai que je ne la connusse évidemment pour telle »

                                                                                -->  « Cogito ergo sum »

 

A l’évidence, mutation en cours --> Querelle des Anciens et des Modernes à la fin du siècle.

 

Bernard de Fontenelle (1657-1757)

 

· La république des philosophes (1682) : démocratie radicale, matérialiste et athée ; visitée par un hôte européen qui vante mérite religion chrétienne --> « dispute » --> hôte renie son dieu pour cette société idéale --> preuve que Dieu pas indispensable à Sté humaine.

· De l’Histoire et De l’origine des fables, 1684 : les mythes ont pour origine l’ignorance, l’incompréhension et la peur des hommes face au réel.

· Entretien sur la pluralité des mondes, 1686 : dialogue péda en rapport avec syst copernicien

· Histoire des oracles, 1687 : combat la thèse défendue par la théologie selon laquelle les oracles païens seraient l’œuvre des démons (cf. Furetière) --> oracle = imposture des prêtres et pythies // miracles = ………. !

· 1691 : élu à l’Académie Française

· 1697 : élu à l’Académie des Sciences

· 1700 : père Lachaise, pb avec 2nde éd. De Histoire des oracles --> silence…

 

Fontenelle : bel esprit, élégant, fin divertissement et littéraire ;

mais aussi, esprit critique, scientifique, partisan de l’instruction éclairante dans un siècle où l’on brûle encore des centaines de sorcières…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I : Un esprit rationnel et critique

 

1) une volonté démonstrative

 

· les titres :

- « Première dissertation : Que les oracles n’ont point été rendus par les démons »

- « Chapitre 4 : Que les histoires surprenantes qu’on débite sur les oracles doivent être fort suspectes »

--> « où il est démontré », forme classique : thèse et argumentation

· la composition du passage :

- intro : une thèse « Assurons-nous… »

- une illustration anecdotique, exemplum

- une conclusion synthétique et inductive + élargissement « toutes sortes de matières »

 

2) une méthode cartésienne

 

* un objectif : « rendre raison »

i.e. : rendre compte, justifier, expliquer

« raison » (x3), « cause » (x3)

Mais

Course à raison raisonnante, aux sophismes, doit cesser -->

* un ordre :

« avant que de », « on commença…et puis… »

-->construire sur des bases solides, ordonnées, méthode « lente » mais assurée ; « Cogito » primordial

* la vérité :

« vrai », « la vérité », « le vrai »   « le faux »

« choses qui sont »  « qui ne sont point », « ce qui n’est point »

--> existence, « être », « Ne tenir aucune chose pour vraie… »

--> rétablir les principes d’une raison efficace

 

3) contre l’ordre ancien

 

· des histoires « fort suspectes »

critique des mythes, fables et légendes ; superstitions

critique de leur interprétation théologique : oracles / démons (en place des faux dieux)

 miracles/ ……. !?

· critique de l’Histoire (cf. texte de Voltaire)

Hérodote, Pline, …, Horstius et Cie : « écrivent » et réécrivent des histoire, « faire des livres », les « historiens »

Histoire = mise en écrit d’une rumeur (« le bruit courut »)

Ecrit savant = caution de vérité (// « vu à la télé » !)

+ compilation

+ amplification

 

 

· critique de la rhétorique universitaire stérile

- interprétation syst. théologique («en partie…)

- ajout de « sentiment » (avis, jugement, impression pers.)

- goût de la forme (« belle ») obscure (« et docte ») ≠ fond

- débat pour et « contre » (« réplique »), duel de personnes stériles

 

--> en dernier recours : « orfèvre », technicien, homme du concret qui détient la vérité solide.

 

II : Bel esprit et divertissement

 

 

 XVIIème, comme XVIIIème = siècles de l’esprit : instruire et plaire (« castigat ridendo mores»), l’utile et l’agréable. Fable, plaisir et sarcasme.

 

1) les promesses de l’apologue

 

intertexte :

La Fontaine, Fables, 1668 ; livre I, X : « Le loup et l’agneau »

«  La raison du plus fort est toujours la meilleure,

 Nous l’allons montrer tout à l’heure :

Un agneau se désaltérait … »

=

- présent gnomique pour la thèse

- annonce du récit (« plaisant »)

- récit au passé simple / imparfait

- et/ou morale finale

Le procédé est connu et reconnaissable, annonce du plaisir (divertissement et reconnaissance)

 Si ajoute l’usage de la P4 : 

- implication du lecteur

- implication de l’auteur

--> volonté pédagogique et modestie du conteur

Et l’usage de la P5 : interpelle lecteur  --> complicité dans le sourire

--> incitation à une réflexion solitaire révélatrice (explication stupide ≠ les voies du Seigneur….)

 Mais il s’agit avant tout de divertir (« si plaisamment »)

 

2) une anecdote plaisante

 

-->plaisir d’assister au « ridicule » des « savants »

Certes :  histoire lointaine (tps et espace) = procédé (déjà) classique

 --> « allemands » imbéciles de l’époque

 --> contournement de la censure

 à invitation à extrapoler hic et nunc, aujourd’hui en France (présent gnomique et conclusion, « rien n’est plus normal »)

Par ailleurs : histoire vraie (caution du réel / auteur), personnages, lieux et dates aussi

 

Qui en fait les frais ?

- l’Université (Helmstat -->…Sorbonne ?)

- les savants latinisants et pédants (Descartes écrit en français, Fontenelle aussi contrairement à sa source néerlandaise qui écrit en latin)

- les « historiens »

- la théologie omniprésente

- les médecins (cf. Molière, Diafoirus, les « vertus dormitives » de l’opium, et les disputes d’auteur autour du malade en latin macaronique)

 

3) un esprit acéré

 

« je ne puis m’empêcher » : plaisir de nuire et esprit caustique

Registre évidemment ironique

 

· un événement dérisoire :

une « dent d’or », un « bruit »

à conséquences démesurées :

- 10 ans de polémiques

- Une « consolation » divine

- Une dimension internationale («chrétiens et Turcs »)

- Des tonnes de traités savants

 

· Des explications absurdes et infondées

 « en partie naturelle, en partie miraculeuse » //isme syntaxique qui renforce l’incohérence du mélange (matière / esprit)

-->jeu sur la crédulité, les superstitions --> miracles et divinité

 

· Antiphrases : « consolation », « belle et docte », « beaux ouvrages », « grand homme »

 

· Péjoration : « ramasse », « sentiment », « courent »

 

· Logique et syntaxe révélatrices

 « la cause de ce qui n’est point »

 « Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai »

 « on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre »

 Plus, bien sûr, les deux dernières phrases qui méritent un développement à la hauteur de  leur complexité.

 

 

III Conclusion

 

 Entre La Fontaine et Voltaire, entre deux Académies, entre deux siècles…

 Esprit libertin au XVIIè, propos dangereux…

 Encore respecté au XVIIIè

 Un modèle d’élégance, de finesse, et de pénétration, toujours actuel.

3 juin 2008

La Dent d'or - Commentaire

Ce travail aborde, sans toutefois les développer suffisamment, les caractéristiques essentielles du texte de Fontenelle...      


 Dans "La dent d'or", ouvrage de vulgarisation scientifique, Fontenelle (1657-1757) - inaugurateur des idées des Lumières qui a contribué a diffuser les idées de son siècle - se moque de la crédulité et des idées reçues. Comment fait-il pour captiver l'attention de ses lecteurs ? De quelle manière arrive-t-il à exposer et à faire passer aux lecteurs ses revendications ? Il me semble intéressant de commencer à se pencher sur la construction très recherchée de son œuvre, notamment du récit central jusqu'au son dénouement. Il conviendra ensuite d'analyser la stratégie de Fontenelle pour diffuser ses opinions.

Fontenelle fonde son développement sur la raison.

Il utilise la méthode scientifique pour construire son entrée en matière. Au cours de celle-ci, il énonce les tenants et les aboutissants de son argumentation. Son point de vue à propos des histoires d'oracles, est arrêté et nous laisse penser à une réflexion complètement outrée d'une telle histoire et de tout les tapages qui se sont formés autour de cette dent en or : « Il serait difficile de rendre raison des histoires et des oracles [...]» l.1 et expose de même une problématique on ne peut plus explicite de son point de vue avec « mais tout cela est-il bien vraie », dans laquelle il en vient à remettre en cause le fondement de ces histoires.

Dans le deuxième paragraphe, Fontenelle a recourt à une méthode démonstrative. En effet, il conte son anecdote, la présente, la décrit, l'explique pour permettre à tout à chacun de se forger sa propre opinion de cet épisode qui a marqué l'auteur. Il la présente comme un fait à connaître, puisque pour lui c'est un fait historique, il emploie donc de grands mots : « si plaisamment », « à la fin du siècle passé » et « quelques savants d'Allemagne ». Puis il nous l'explique et justifie avec un soupçon d'ironie que l'on peut comprendre en recadrant son opinion faite de ce malheureux incident : l'usage du « quelques » souligne que l'erreur est souvent commise. Il nous l'explique : pourquoi a-t-elle été déclenchée ? Comment les savants l'ont-il interprétée ? Mais on est amené à se rendre compte que notre première pensée qu'il voulait nous guider pour construire notre propre sentiment n'est plus vraiment la visée qu'il voulait vraiment exploiter. Étant donné, qu'il veut plutôt faire adhérer ses lecteurs à son opinion, car il argumente et ne laisse aucune autre possibilité possible, car il démonte la raison donnée à l'époque pour expliquer ce phénomène : « Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens et aux Turcs » l.14 affirmation de la naïveté de cette thèse.

Enfin dans le dernier paragraphe, l'auteur l'utilise afin de pouvoir commenter cette anecdote où finalement il tourne le rôle des savants qui ont cru à la partie mystique de l'explication à la dérision : « [...] nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai [...] » 1.27. Il conclut ainsi sur un ton philosophique, qui porte à réfléchir sur les croyances et religion et du monde entier...

Afin d'approfondir sa plaidoirie, Fontenelle cherche à ridiculiser ceux qui pensent avoir la vérité. Donc après avoir laissé une grande place à la forme, à la recherche d'explications, et avoir vaguement donné son avis personnel qui était à lire entre les lignes. Il cherche à présent à condamner la crédulité des savants, pour cela il tente de se faire approuver de tous et utilise maints procédés.

Dans un premier temps, dès le premier paragraphe, Fontenelle cherche l'adhésion du lecteur. Il emploie trois fois le « nous », pronom de regroupement, pour faire comme si la voie du peuple et la sienne ne faisaient plus qu'une. Puis aussi, le choix de se servir du verbe à l'impératif « assurons-nous » 1.3 le souligne bien. Avant d'exposer les résultats de sa réflexion il veut garantir la vraisemblance de son récit auprès des lecteurs.

Puis dans un second temps, pour attribuer une valeur plus concrète et faire ressortir que cela résulte d'une recherche profonde et poussée, l'auteur parodie un écrit scientifique : personne ne remet en cause les résultats d'un savant, tout le monde les adopte, et surtout certifie la crédibilité de son œuvre. Tout d'abord, il a un réel souci de précision : « en 1593, le bruit courut que [...] » 1.9, « deux ans après » 1.16, « aussitôt » 1.18. Et il y a de même de réels personnage cités : « Rullandus ». Mais pour ne pas trop flouer ses lecteurs après leur avoir fait croire à toute son argumentation, il révèle quand même qu'il s'agit d'une parodie. Non pas explicitement mais au moyen de petits indices. Il use de caractères contradictoires : « en partie miraculeuse, en partie naturelle » de plus, il emploie un vocabulaire inadmissible pour un vraie scientifique : « sentiment »1. 14.

Enfin, comme chez Voltaire, le texte de Fontenelle utilise l'humour pour parler de choses importantes. L'humour présent dans la situation initiale de l'anecdote est le premier élément qui permet de distinguer le souci de l'auteur de ne ni blesser ni bousculer qui que ce soit mais tout en faisant passer son idée. En effet, le phénomène raconté sort de la banalité puisque la cause de celui-ci est une dent et pour effet tout le tapage causé par celle-là. De plus, des métaphores renforcent cet humour : on relève surtout la métaphore du premier paragraphe : les savants « courent » alors qu'ils sont des hommes de sciences posés et réfléchis. Pour terminer, on peut discerner la place omniprésente avec la plus marquante : « [...] Libavius ramasse tout ce qui avait été dit de la dent [...] » 1.18, cela donne l'impression  qu'un tas d'informations a été constitué et que les savants piochent au hasard.

Au terme de cette étude, nous avons observé la démarche de Fontenelle. Pour attirer l'attention de ses lecteurs et être soutenu, Fontenelle construit son développement sur les bases de la raison. Puis il cherche à défendre sa cause : les savants veulent aller trop vite ; pour cela il recherche tout d'abord l'adhésion du lecteur, puis il expose son opinion. Cette méthode utilisée par Fontenelle a été mainte fois reprise par de nombreux écrivains et philosophes.

3 juin 2008

L'Invitation au Voyage

    Voici un joli travail sur L'Invitation au Voyage. C'est un bel exemple de commentaire réussi de première. Vous remarquerez la mise en page soignée qui révèle l'architecture du texte au premier coup d'oeil, merci pour le lecteur !


Charles Pierre Baudelaire, né à Paris en 1821, est un écrivain majeur de l'histoire de la poésie française. Il a écrit entre autres : Salon de 1845, le poème du haschisch (1858) mais aussi une des oeuvres les plus importantes de la poésie moderne : les Fleurs du Mal (1857) qui connaîtra plusieurs dates d'édition car cette oeuvre sera condamnée à plusieurs reprises. À travers son œuvre, il tente de tisser et démontrer le lien entre la beauté et le mal, la violence et la volupté, mais il a aussi exprimé l’envie dans plusieurs de ses poèmes dont : « l'Invitation au Voyage » qui fait partie de « Spleen et Idéal » écrit dans un registre lyrique. Comment, à travers ce poème, Baudelaire exprime-t-il son envie d'évasion ? Et quel est ce paysage mystérieux qu'il décrit ? Pour répondre à ces questions, on étudiera d'abord l'invitation au voyage du poète, puis le lieu décrit par Baudelaire.

 

* * *

 

 Il y a dans presque tous les poèmes de Baudelaire la présence d'une femme. Dans « l'Invitation au Voyage » une présence féminine se fait, dès le début, sentir : « Mon enfant, ma soeur ». On ne sait alors si c'est une enfant ou une femme. C'est plus tard, au vers quatre et cinq, qu'il exprime un sentiment d'amour pour cette personne et que l'on comprend donc que c'est une femme voire sa compagne. On ne sait pas où se situe cette femme, ni qui elle est, et encore moins à quoi elle ressemble. Mais tout le long du poème, elle aura un point commun avec la destination dont rêve le poète, c'est que tous deux restent mystérieux : « Au pays qui te ressemble ». Dans le poème, seuls les yeux de la femme sont décrits (« Pour mon esprit ont les charmes / Si mystérieux / De tes traîtres yeux »), et seul le portrait d'une chambre sera dressé par l'imagination du poète : « Décoraient notre chambre ». La femme et le lieu restent donc inconnus du lecteur.

 Tout au long de son poème, Baudelaire essaie de convaincre cette femme de venir avec lui dans ce lieu secret. En effet, dès le vers deux, il emploie le verbe « songer » : « Songe à la douceur » qui invite la femme à partager son rêve. De plus, il émet l'envie de vivre avec elle dans ce lieu : « D'aller là-bas vivre ensemble ! ». Jusqu'au vers cinq, on ne sait pas quel est ce lieu, ce n'est qu'au vers six qu'il emploie le mot « pays ». Puis dans la suite du poème, il décrit le paysage et aussi une chambre. En fait, Baudelaire réalise poétiquement le voyage : dans la première strophe les soleils sont « mouillés » mais diurnes, tandis que dans la troisième strophe ils sont « couchants » et que « le monde s'endort » ; c'est là que s'arrête l'invitation, car elle est partie d'un songe et se termine lorsque celui-ci s'achève.

 On remarque donc que le rêve du poète se déroule le temps de toute une journée dont les étapes sont très distinctes. En effet, le matin, lorsque les soleils sont « mouillés » dans la première strophe, le couple est séparé du lieu rêvé par « Là-bas ». Dans la deuxième strophe, la distance entre le couple et le lieu se fait uniquement sentir sur le mode des verbes au conditionnel : « décoraient », « parlerait ». Lors de la troisième strophe, le couple n'est plus séparé du lieu. En effet, grâce à l'impératif « Vois sur ces canaux », cette troisième strophe laisse le lecteur supposer que les distances ont été franchies. C'est également dans cette strophe que le rêve s'achève « les soleils couchants ». À travers ce poème, on voit que le poète est envoûté autant par cette femme mystérieuse que par le lieu dont il rêve. Mais ce pays qu'il décrit est bien plus intime car on peut voir entre les lignes une double image de celui-ci.

 

 

 Déjà, à la forme du poème, on peut deviner que cet endroit mystérieux remonte bien loin dans les souvenirs de Baudelaire. Tout d'abord le rythme du poème est lent, l'ambiance qui s'en dégage est calme et paisible. On remarque aussi qu’entre chaque strophe il y a deux vers qui reviennent systématiquement : « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté ». Quand on lit le poème, on a donc l'impression de lire une chanson avec ses deux vers qui jouent le rôle de refrain. C'est en combinant le rythme du poème et ses deux vers qu'on voit apparaître une berceuse. Peut-être alors que ce pays « mystérieux » est celui de son enfance où il est dans la chaleur des bras de sa mère. Cette idée se renforce encore plus avec le lexique de l'enfance présent dans le poème.

 En effet, le lexique de l'enfance est très présent dans le poème. Déjà au vers un, il appelle la femme qu'il aime : « Mon enfant, ma soeur ». Aussi, il écrit « Au pays quitte ressemble » ; ce vers crée un doute : parle-t-il d'un pays ou de sa mère ? Car on ressemble à ses parents. À la strophe deux, le poète décrit une chambre dans laquelle les « meubles sont polis par les ans », peut-être était-ce de vieux meubles à lui. Dans cette strophe, on peut aussi deviner la présence parentale car aux vers 24 et 26 il écrit : « Tout y parlerait / A l'âme en secret / Sa douce langue natale »... À la troisième strophe, l'ambiance est chaude : « Le monde s'endort / Dans une chaude lumière ». Là aussi, il y a une double image : celle de la tombée de la nuit, mais également celle d'un enfant qui s'endort dans les bras de sa mère. Le poème de Baudelaire est donc plein de double sens. Mais une troisième image se dégage de ce poème.

 En effet, on peut voir une image bien plus profonde à travers ce poème, celle d'une naissance. On peut rattacher cette image au rêve que fait le poète en une journée, car comme pour le rêve, la naissance suit des étapes très distinctes. À la première strophe, on peut imaginer un petit enfant dans le ventre de sa mère, prêt à naître. C'est au vers 7 que l'enfant naît, en effet « Les soleils mouillés » qui évoquent le lever du jour peuvent également évoquer la naissance de l'enfant. À la deuxième strophe, on peut voir un enfant qui découvre sa demeure : tout est nouveau pour lui, même l'odeur : « Les plus rares fleurs / Mêlant leurs odeurs / Aux vagues senteurs de l’ambre ». Il y a également un échange avec la mère, marqué par : « Tout y parlerait / A l'âme en secret / Sa douce langue natale ». À la troisième strophe, l'enfant a vécu sa première journée : « Les soleils couchants ». Sa mère l'éloigne de l'agitation : « Dont l'humeur est vagabonde » puis l'endort : « Le monde s'endort / Dans une chaude lumière ».

 

* * *

 

 Pour conclure, on peut noter le double sens très fin de ce poème. Il y a d'abord une première interprétation, celle d'un poète amoureux qui fait partager son désir de s'installer avec l’être aimé. L'autre image, cachée par cette première, laisse apparaître l'image d'une enfance, voire même d'une naissance. Baudelaire, dans ce poème, nous a prouvé une nouvelle fois l'agilité avec laquelle il manie les mots. Il a également inscrit dans le poème une mélodie qui sera reconnue : ces vers seront mis en musique par Henri Duparc.

 

3 juin 2008

La Mort des Amants - Commentaire Composé n°2

    Un autre commentaire, plus fouillé. Une autre approche aussi. Si vous avez des questions...
 

    Comment échapper à la société, au mal de vivre ? Charles Baudelaire, poète du XIXe siècle, né en 1821 et mort en 1867, totalement incompris de ses semblables et spleenétique tente par tous les moyens de s'enfuir de la réalité. Ainsi, dans son recueil de poèmes parut en 1857, les fleurs du mal, l'architecture même de cette oeuvre, qui fit l'objet d'un procès, tend à chercher des échappatoires à la souffrance : par l'art, l'amour, la communication humaine dans le cadre de la ville, le vin, la révolte... Mais toutes ces tentatives sont imparfaites, car humaines, et se soldent plus ou moins par des échecs. C'est pourquoi, pour le poète « maudit » qu'est Baudelaire, qui se sent exilé sur terre, la seule évasion possible et qui ne serait pas pure illusion c'est bel et bien la mort. Ainsi, dans un 19 siècle très puritain et croyant, où la mort, sujet tabou, doit être tue,  éloignée de la vie, Baudelaire, marginal, lui consacre une section entière, qu'il place d'ailleurs en apothéose à la fin de l'ouvrage ! Une fois de plus, la modernité de la vision de Baudelaire est incontestable. En effet, dans la poésie classique, la mort est quelque chose de sinistre et de menaçant  la plupart du temps, et qui pousse chacun à profiter de la vie. Tout au contraire, Baudelaire, fasciné par le trépas, semble l'appeler comme une délivrance. Ainsi « la mort des amants » est un sonnet moderne, en décassyllabes et au registre lyrique, qui ouvre cette section sur la mort présentée comme un idéal. Mais comment et pourquoi Baudelaire tisse-t-il des liens entre l'amour, sujet traditionnel et poétique, et sa vision très moderne de la mort ? En fait, les attentes du poète vis-à-vis de la mort sont très perceptibles. Il battit certes un monde où amour et mort sont confondus dans un paradoxe onirique, mais seul afin de porter l'amour à son paroxysme, et afin d'assouvir son idéal de fusion, d'union, en toutes choses.

 

* * *

 

 Tout d'abord, réunir la mort et l'amour est un défi que Baudelaire relève admirablement en s'aidant d'une dimension onirique. Car malgré les champs lexicaux qui s'opposent, ces deux extrêmes cohabitent très bien en ce poème tout est joué. Ainsi, le champ lexical de l'amour, de la volupté, composé de termes tels que « lits », « divans profonds », « fleurs », « rose », et « coeurs » suggère une atmosphère douce, intime. La mort fait régner, elle, une ambiance froide et triste grâce à des mots tels que « tombeaux », « long sanglot », « adieux », « miroirs ternis » et « flammes mortes ». Mais de nombreux termes peuvent être compris à double sens, ne faisant que suggérer la mort sans jamais vraiment la dévoiler pendant les deux quatrains. Ainsi, les « lits » peuvent tout aussi bien être un lieu amoureux que des lits mortuaires. Les « étranges fleurs », « les flambeaux » peuvent aussi faire référence à un enterrement... Mais il ne s'agit là que de très fins sous-entendus, qui, sans porter atteinte au caractère paisible du sonnet, unissent de façon étroite ces termes sur lesquels il est même possible de faire un jeu de mots significatifs : la mort, « amor » ou amour en latin ! De plus, aux vers deux, la comparaison entre aimer et mourir est explicité par le comparatif « comme » rapprochant les « divans profonds », des « tombeaux ». Des rimes singulières sont également révélatrices. En effet, faire rimer « tombeau » avait « beau » ou « dernière » avec « lumière », ou encore « adieu » avec « joyau » constitue de véritables antiphrases pour le commun des mortels ! Mais Baudelaire ose remettre en question les conceptions classiques et n'hésite pas à rapprocher l'éclair unique qu'est la fusion amoureuse et le « long sanglot » qui annonce la mort grâce au comparatif « comme » au vers x. Ce point cette communion, ces points communs et même cette similarité entre l'amour et la mort ne sont d'ailleurs pas si surprenants que cela. Car ne dit-on pas que l'amour est une « petite mort » de par la perte de sa propre identité en l'autre ?

 Cependant, cela sous-entend que le poète en quête d'idéal à une vision très particulière de la mort puisqu'il la confond avec l'amour parfait. En effet, l'emploi du futur et non du conditionnel tout au long du sonnet indique que Baudelaire désire et appelle cette mort qu'il considère comme le seul espoir et qui va de toute façon se produire de manière inexorable. Ainsi, l'emploi de termes tels « auront », « seront » ou « échangeront » témoignent de la foi que le poète a en la mort, qui ne pourra pas le décevoir en tant que promesse d'un bonheur certain. De plus, l'adverbe « bientôt » au vers 12 et l'emploi du futur proche « viendra ranimer » appuie encore un peu plus cette idée de confiance absolue en la mort. De plus, si la mort est partout suggérée dans le sonnet et présentée comme un espoir pour l'homme, elle ne prend clairement forme que dans le titre et le dernier tercet, avec l'apparition de l'ange au vers 12. Car la mort qui est peinte dans les deux quatrains est méconnaissable, totalement différente de celle, triste et lugubre, que nous connaissons et redoutons. Cette mort est joyeuse tout comme l'ange, légère et nettement supérieure au monde réel car elle-même « sous des cieux plus beaux », au paradis même comme l'indique l'ange et les « porte » de l'au-delà. Ainsi, pour Baudelaire, la mort n'est pas une finalité terrifiante mais un moyen d'accéder à un ailleurs. Il s'agit donc d'une mort pleine et nullement effrayante comme le sont le vide, l'ennui, que redoute Baudelaire. En effet, les sens sont extrêmement sollicités dans ce poème. Les « odeur légère », « les fleurs » pour l'odorat, le toucher sollicité par les « divans profonds » dans lesquels on s'enfonce grâce à la sonorité mystérieuse des sons [en] et [on] suggérant la plénitude et la douceur mais également par les « chaleur dernière ». Les sens ne sont donc pas morts et semble même exacerbés ! La vue est peut-être le sens le plus assouvi car tout est ravissement : les « étranges fleurs », les « cieux plus beaux », les « lumières », les couleurs « roses » et « bleu mystique » du soir... On se croirait au coeur d'un tableau ou couleurs, lumières et ombres jouent à cache-cache. Baudelaire révèle donc ici ses talents de grand peintre tant l'harmonie esthétique qu'il crée est intense et parvient à nous faire oublier la mort ou tout du moins à l'idéaliser et à la fondre dans les sentiments amoureux et lyriques.

 Mais, sans sa part de rêve et de mystère, ce poème ne parviendrait pas à fondre de manière aussi intense l'amour et la mort. En effet, de grandes brumes oniriques flottent tout autour de ce sonnet et Baudelaire quitte complètement l'aspect prosaïque de l'existence pour s'envoler vers les cieux en une perfection poétique et stylistique. De ce fait par les suggestions et les images incessantes qu'il met en place, le poète place ainsi « la mort des amants » sous le signe d'un symbolisme naissant ainsi, l'adjectif « étrange » pour désigner les fleurs souligne les différences qui subsistent entre la mort et la vie, plaçant cette mort sous le signe de l'incompréhension et du …. De même les vers 10 et 11 :

 « Nous échangerons un éclair unique,

 Comme un long sanglot tout chargé d'adieu. » 

sont très énigmatiques et l'emploi de l'adjectif « mystique » alourdit encore le mystère. De plus, la musicalité du poème et l'assonance de nasales avec des termes tels « tombeau », « étrange », « usant », « seront », « flambeaux » créént une profondeur, une douceur et une ambiance vague de rêve. En outre, la métaphore du vers six qui rapproche les coeurs de « vastes flambeaux » et les esprits des amants de « miroir jumeau » au vers huit va être repris à la fin du poème, créant une sorte d'écho et une symbolisation qui suffit à suggérer la réalité. En effet, les « miroir ternis » ne sont autres que les esprits, et les « flammes mortes » du vers 14 que les coeurs. La poésie permet donc, tout en restant très évasif, de faire passer des messages par la force des images. Ce sonnet se double de ce fait d'un aspect hallucinatoire et envoûtant que seul le rêve peut parvenir à induire, et que Baudelaire utilise pour tisser des ponts mystérieux entre l'amour et la mort, car « dormir c'est mourir un peu »...

 

Ainsi, c'est grâce à sa vision extrêmement positive de la mort que Baudelaire parvient à mêler amour et mort. Des liens très intenses sont sans cesse suggérés entre ces deux états, et ce grâce à un symbolisme onirique en quête de dimension céleste qui nous entraîne peu à peu loin du sol et de sa vulgarité. Mais bien sûr la mort n'est pas vide et n'est pas une fin en soi. Dans ce poème, Baudelaire affirme même distinctement qu'elle permet d'élever l'amour à son paroxysme.

 

L'amour est, chez Baudelaire, un sujet délicat qui jamais ne le contente tout à fait. Mais la forme revisitée du sonnet mêlé à la modernité de la vision de la mort de Baudelaire vont permettre d'élever l'amour jusqu'à l'idéal du poète. La douceur, le luxe sont en effet omniprésents. Tout d'abord, « la mort des amants » est un sonnet tout à fait moderne car il est écrit en décassyllabes à deux hémistiches égaux qui introduisent donc une insolite douceur et un rythme binaire. De plus, les rimes ne sont pas embrassées comme dans un sonnet classique, mais croisées dans les deux quatrains, afin d'alterner rimes féminines et masculines et de créer pour l'oreille une certaine harmonie et quiétude. En outre, les sonorités et notamment les allitérations en [m.] comme dans le titre « la mort des amants » ou encore « flammes mortes », en [r] au vers un par exemple : « nous aurons [...] odeur légère », en [s] avec les termes « sous des cieux » et « seront de vastes » contribuent énormément à cette douceur de par leur musicalité longue tantôt nasale, liquide ou sifflante... Les odeurs quant à elles sont « légère », non animales, et entraînent donc, tout comme les « divan profond » et les « fleurs » un sentiment de beauté douce propre au jardin originel. De même, les couleurs du soir sont pastelles et non agressives : le « rose » et le « bleu », couleurs du bonheur paisible opposées à la traditionnelle noirceur que l'on associe à la mort ou au rouge sang de la dévorante passion amoureuse... L'emploi du pluriel lui est sans doute significatif de richesse, d'opulence. De plus l'idée de plénitude est très présente comme le prouve l'emploi de l'adjectif qualificatif « plein », et le pluriel pour des expressions telles que « des divans profonds », « des étagères ». On constate donc nettement que ce qui attire Baudelaire c'est bel et bien le néant. Et ce luxe, cette richesse extérieure insiste non seulement sur le confort que recèle la mort, mais aussi métaphoriquement sur la richesse intérieure qu'elle permet d'atteindre et de cultiver. En outre, le poète, d'une sensibilité extrême, voit dans la mort ses sens non seulement conservés mais même très largement assouvis et non frustrés comme sur terre. Par cette profusion de sensations, l'amour prend donc un aspect sensuel et voluptueux... Mais que ne quitte jamais la douceur d'une conception de l'amour idyllique.

 La mort est donc synonyme d'un amour avisé, de renaissance d'un amour éternel qui sera plus beau, car les hommes sur terre sont imparfaits. Ainsi, l’ange est « fidèle » ce qui est la promesse d'une fidélité dont Baudelaire a souffert en amour et qui lui sera offerte pour l'éternité. Cet ange est aussi « joyeux », chassant de la mort ce « long sanglot », cette tristesse présente dans les tercets par opposition aux quatrains et qui représente certainement le passage de la vie à la mort, le vide entre les deux, seul moment de crainte avant la venue de l’ange. Mais cet ange « viendra ranimer » au vers 13 cet amour qui s'était éteint dans une idée de retour à la vie éclatante. « Fidèle » et non volage, « joyeux » et non spleenétique sera alors l'être humain. Ainsi l'amour qui va renaître sera plus pur, presque surnaturel comme le prouvent les adjectifs « étranges » et « mystiques » et pour l'éternité aussi intense. En effet, leurs coeurs seront « de vastes flambeaux » et l'emploi de l'adjectif qualificatif « vaste » témoigne de la force et de l'étendue d'un sentiment ardent, qui, ravivé par un ange, n'est pas près de s'éteindre.

 

 De ce fait, l'amour est véritablement sublimée par le trépas des amants qui n'est en réalité que la naissance, le ravissement d'un amour très doux et luxueux, tant matériellement que spirituellement, d'un amour éternel où la peur de la perte de l'autre n'a plus sa place. Et ce principalement du fait d'une fusion très forte que recherche Baudelaire, que ce soit en amour ou dans la vie.

 

 Dans ce poème, on devine un Baudelaire à la recherche de l'unité du monde. En effet, il est séduit par l'idée platonicienne que, malgré la multitude des sensations auxquelles nous sommes confrontés, le monde n'est qu'un et que le poète se doit de retrouver cette unité perdue. Ainsi le mal correspond à la perte de cette union, et seule la mort permet d'y échapper. Il fusionne donc la joie à la tristesse dans les tercets, la vie à la mort, le rêve à la réalité. De même, la fusion entre l'homme et la femme dans l'amour après la mort est très forte, et contribue elle aussi à la douceur du poème. De ce fait, le rythme binaire, le motif du double avec le pronom personnel sujet « nous », l'adjectif possessif, « nos », le duo omniprésent avec les numéros « deux », l'emploi de l'adjectif « double » témoigne de la réunion entre l'homme et la femme. Peu à peu on glisse même vers le motif du reflet avec des termes comme « réfléchiront », « miroir ». Ainsi les amants deviennent reflets l'un de l'autre, ils se perdent peu à peu de l'un dans l'autre ce qui pourrait être une autre interprétation de la mort. Au vers huit, l'homme et la femme sont donc présentés comme des « jumeaux » d'élections. Par la suite, si les quatrains sont placés sous le signe du double, les tercets convergent vers l'unique : le premier tercet, reprenant les « chaleur dernière » des amants est l'illustration même de la fusion en un but ultime et « unique ». Car les amants se complètent, tout comme le « rose » complète le « bleu », l'une étant la couleur de la féminité et l'autre de la masculinité. De plus, il s'agit d'un échange entre l'homme et la femme, entre lesquels ne subsiste aucun mystère ou secret. En effet, leurs esprits étant « jumeaux », la communion est totale... Il est certes beaucoup plus simple d’aimer quelqu'un que l'on comprend totalement qu'un être énigmatique. Baudelaire, n'ayant eu de cesse tout au long de sa vie de s'interroger sur la femme, sans tout à fait la comprendre, voit donc certainement là un amour simple et pur, sans ambiguïté.  

 De même, l'esprit et le corps pour le poète sont deux choses qui ne peuvent être rassemblées sur terre… Ici, c'est le coeur et l'esprit qui vont fusionner en un amour idéal que Baudelaire a vainement cherché auparavant dans l'oeuvre. En effet les « deux coeur » des amants se réfléchissent dans leur « deux esprits ». Cette fusion coeur/esprit, cette absence de dualité, rendent donc l'amour beaucoup plus fort et idéal. Mais cependant, le corps en lui-même n'est jamais cité, l'homme s'étant sans doute débarrassé de son enveloppe charnelle pour ne garder que l'essentiel selon Baudelaire, dérangé par son apparence humaine : le coeur, organe pur de l'amour, et l'esprit, siège de la pensée. La mort fusionne donc ce qui sur terre s’opposait trop souvent pour le poète. C'est pourquoi au vers un les odeurs sont « légères »... Même l'amour physique qu’il ne renie pas s’est spiritualisé et purifié.

 

* * *

 

 Pour conclure, « la mort des amants » constitue donc pour Baudelaire le sommet de l'idéal et du bonheur, sous un titre pourtant triste en apparence. Il surprend donc, premier poème aussi paisible, sans conflits internes, de toute l'oeuvre. Et pourtant il s'agit néanmoins de la mort ! Par une très forte correspondance entre l'amour et la mort, par une vision très positive du trépas et enfin par le rêve, Baudelaire fonde ce paradoxe dans une singulière douceur. Et ce pour porter l'amour à son plus haut point, idéal de quiétude, de luxe, d'éternité, mais également pour assouvir son désir de fusion en toutes choses, impossible sur terre. Ainsi, dans cette forme poétique du XVIe siècle qu'est le sonnet, et avec un thème tout à fait traditionnel, l'amour, Baudelaire introduit une très forte modernité. Tout d'abord stylistique quant à la forme du sonnet, mais aussi thématique pour ce qui est de son approche toute particulière de la mort, qui se rapproche même d'une invitation à mourir. Mais en réalité, la mort comme consécration de l'amour n'est pas un sujet propre à Baudelaire. La littérature fourmille de ces « amants maudits » tels Tristan et Iseult, qui firent leur entrée en littérature au XIIe siècle. Morts d'amour, ils trouveront dans cette mort la réalisation d'un amour qui dépassait nécessairement le monde des hommes, d'un amour enfin libre, symbolisée par la ronce qui pousse sur les deux tombeaux pour enfin les réunir, et qui, même si elle est coupée, revient toujours, éternelle. La mort a donc fasciné à travers les siècles devant le caractère imparfait ou impossible d'une passion amoureuse. Et pour Baudelaire, c'est l'ennui, le vide intellectuel, l'absence de nouveau qui constitue la mort véritable. Ainsi le poème « la mort des artistes » pose ce problème d'une volonté de renouvellement de l'activité poétique, faisant basculer le poète vers une renaissance cette fois artistique par la mort, unique échappatoire.

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