Dom Juan : pièce classique ou baroque ?
Votre camarade nous
glisse la question suivante :
Aujourd'hui je m'interrogerai sur
le caractère baroque ou classique de Dom Juan. Il semble que ce soit un peu les
deux à la fois... Mais tout compte fait puisque les règles classiques ne sont
pas respectées, cette oeuvre n'est-t-elle pas plus baroque que classique ?
L'aspect baroque de la pièce est-il bien contenu dans l'exagération,
l'apparition d'êtres surnaturels telle la statue du commandeur, le thème du
libertinage, le mélange de différents registres ? Y a-t-il autre chose ?
Et surtout, à part le fait que Molière, communément associé au classicisme soit
son auteur, qu'est- ce qui rattache encore cette oeuvre à l'esthétique
classique ?
J'ai beau chercher sur Internet, je ne trouve pas deux avis identiques...
…et nous donne la
réponse !
Effectivement, Dom Juan a très tôt été reconnue comme une œuvre étrange, « macédoine », « pièce bizarre, incohérente », « habit d’arlequin » et j’en passe !
Rappelons que le baroque est un mouvement esthétique né au XVIème siècle et qui ne cesse d’alimenter tout le XVIIème, malgré la domination du classicisme dans la deuxième moitié. Ses valeurs sont l’instabilité, la métamorphose, l’illusion, le mouvement, …À l’image de la nature, il aime ce qui va, vient, meurt et renaît. Il aime aussi et avant tout montrer, et se montrer, c’est un art de l’apparence et de l’éclat. Jean Rousset a écrit un livre sur ce sujet qui s’intitule Circé et le Paon : Magie, illusion, disparition, mais aussi ostentation, voire vanité.
On comprend à quel point cette esthétique s’oppose au classicisme, art de la discipline, de la mesure, de l’ordre, de la rigueur et de l’équilibre, art de la perfection formelle, mais aussi, parfois de la froideur.
Il n’est pas difficile de voir que Dom Juan, le héros, comme la pièce, appartient à la première esthétique ! On considère parfois aujourd’hui que c’est une des pièces les plus baroques du XVIIème, avec L’illusion comique, « étrange monstre » de Corneille.
Quelques éléments pour appuyer ceci :
Les 5 règles classiques sont bafouées !
- unité de lieu : on en change à chaque acte ! voire deux ou trois fois par acte !!
- unité de temps : au moins 36 heures au lieu de « l’espace d’une journée »
- unité d’action : combien de péripéties peuvent sembler (et sont réellement !) accessoires, et pourraient aisément être supprimées.
- Bienséance (ni violence, ni grossièreté, ni offense à la morale, ni mélange de classes sociales) : mort de DJ, scène de repas (grossier), insulte au père, au mariage, à l’honnêteté, à la tempérance, hypocrisie, mensonge, séduction, blasphème, …et mariage (tentative) avec des paysannes !!
- Vraisemblance : on nage dans le fantastique !
Mélange des genres (que ne tolère pas le classicisme) : farce, comédie, tragi-comédie (conflit amour/honneur avec Elvire et ses frères), et tragédie avec la scène du Pauvre et la mort de DJ.
DJ et Sganarelle sont baroques : difficiles, voire impossibles à cerner. Toujours en mouvement, en métamorphose, même les statues bougent ! Sganarelle se donne en spectacle à Gusmann dès I,1 ; puis, c’est DJ qui se pavane (le Paon) devant Sg dès la sc.2. Les deux personnages jouent d’ailleurs l’un pour l’autre en permanence. Ils jouent des rôles, l’un est médecin, l’autre dévot ou célibataire ; ils se déguisent, changent et bougent en permanence : tout est tromperie, illusion ; tout est masque et tous se donnent en spectacle, se montrent pour ce qu’ils ne sont pas.
Non, décidément, Dom Juan, n’est pas une comédie classique, même si son auteur a été désigné, sans doute abusivement, auteur de comédie classique.